Les fils de la liberté
Oui ! Oui, c’est mon frère. Je vous en prie, madame, savez-vous où il se trouve ?
Un sentiment d’angoisse me noua le ventre. Je savais exactement où il se trouvait mais la nouvelle n’allait pas faire plaisir à son frère. Je n’avais pas le choix ; je devais le lui dire.
— Je suis profondément désolée, il est mort.
J’avais parlé le plus doucement possible. Je posai ma main sur la sienne et la serrai. Mon cœur se fendit en voyant son regard s’éteindre.
Il resta immobile l’espace de quelques respirations, fixant un point au loin derrière moi. Puis, lentement, il se concentra à nouveau sur moi et poussa un profond soupir.
— Je vois… C’est ce que je craignais. Comment a-t-il… comment est-ce arrivé ? Le savez-vous ?
— Oui, je le sais, dis-je hâtivement en voyant le colonel Grant se préparer à partir. Mais… c’est une longue histoire.
— Ah.
Il suivit mon regard. Tous les hommes s’étaient mis en mouvement, rajustant leur veste, coiffant leur chapeau et échangeant quelques derniers mots.
Il se tourna à nouveau vers moi.
— Je viendrai vous trouver. Votre mari… c’est bien le grand rebelle écossais ? J’ai cru comprendre qu’il était un parent du brigadier-général ?
Je le vis chercher quelque chose du regard derrière moi et une alarme retentit dans ma tête, faisant se hérisser les poils sur mes bras. Rawlings fronçait les sourcils et je devinai, aussi clairement que s’il l’avait dit, que le mot « parent » avait déclenché une sorte de rapprochement dans son esprit… Il était en train de regarder William.
Je l’attrapai par la manche avant qu’il se tourne vers Jamie et puisse achever la pensée qui se formait en lui.
— Oui, c’est le colonel Fraser, dis-je précipitamment.
Tout en parlant, je fouillais dans ma sacoche et trouvai le morceau de papier que je cherchais. Je le sortis, le dépliai rapidement et le lui tendis.
— C’est bien l’écriture de votre frère ?
Il dévora des yeux les lettres tracées avec application, avec une expression où se mêlaient l’avidité, l’espoir et le désespoir. Il ferma les paupières un instant, les rouvrit, puis lut et relut la recette d’un antidiarrhéique comme s’il s’agissait des Evangiles. Il effleura le bord roussi de la page.
— Elle est brûlée, dit-il d’une voix éraillée. Daniel est-il… mort dans un incendie ?
— Non.
Le temps pressait. Un des officiers britanniques se tenait derrière lui, l’attendant avec impatience. Je touchai la main qui tenait la page.
— Gardez-la, je vous en prie. Si vous parvenez à franchir les lignes, ce qui devrait être plus facile à présent, vous me trouverez dans ma tente, près du parc d’artillerie. Ils m’appellent… euh… la sorcière blanche. Vous n’aurez qu’à demander.
Il écarquilla les yeux puis m’examina plus attentivement. Heureusement, il n’avait plus le temps de poser d’autres questions. L’officier s’avança d’un pas et lui marmonna quelque chose dans l’oreille, ne m’adressant qu’un bref regard.
— Oui, dit Rawlings. Certainement.
Il s’inclina profondément devant moi.
— Votre serviteur, madame. Je vous suis infiniment reconnaissant. Puis-je… ?
Il agita le papier et j’acquiesçai.
— Oui, bien sûr.
L’officier s’était tourné, cherchant un autre retardataire à presser. Rawlings lança un bref coup d’œil par-dessus son épaule puis s’approcha de moi et me glissa :
— Je viendrai. Dès que je le pourrai. Merci.
Il se redressa en apercevant quelqu’un derrière moi et je me rendis compte que Jamie était venu me chercher.
Il s’avança et, avec un signe de tête au médecin, me prit la main.
— Où est votre chapeau, lieutenant Ransom ? dit une voix non loin.
C’était un colonel, parlant sur un ton légèrement réprobateur. Une fois de plus, je crus que mes cheveux allaient se dresser sur ma tête. Non pas à cause du colonel mais de la réponse qui fusa :
— Un de ces fils de pute de rebelles a tiré dessus !
C’était une voix anglaise, jeune, chargée de chagrin refoulé et teintée de colère. Mis à part ces derniers détails, c’était celle de Jamie. Ce dernier crispa sa main sur la mienne avec une telle force qu’il faillit me broyer les doigts.
Nous nous trouvions sur le sentier qui remontait de la rivière ; encore deux pas et nous serions à l’abri derrière les arbres et le voile de brume. Mais, au lieu
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