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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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me donnez-vous ?
    — Oh ! je ne peux deviner cela… Disons vingt…
    Adelis rit ; un rire qu’il ne lui connaissait pas : elle se moquait de lui avec tendresse, mais sa main se crispait dans la sienne – douloureusement.
    — J’en ai six de plus… si je compte bien…
    La surprise laissa Ogier sans voix. Adelis, devant elle, écarta une branche :
    — Je ne sais rien de ma naissance. Ce qu’une femme, ma tante Alida m’en a dit, c’est que j’avais six mois à la fin de l’été 1320, quand les pastoureaux sont arrivés au Fenouillet [232] . Ils étaient des milliers… Il paraît qu’il suffisait de les voir de loin, marchant derrière les hautes croix de leurs clercs, pour être saisi d’une frayeur terrifiante… Rien ne leur résistait : ils étaient trop nombreux… Ils ont assailli le château d’Auriac dont ma mère était une des chambrières… Ma tante, elle, était lavandière… Le baron, Béranger d’Auriac, leur a tout d’abord résisté avec trente hommes d’armes, mais un de ces malandrins découvrit le débouché du souterrain ; alors, de nuit, ce fut la ruée… Béranger, sa femme Edmonde, leurs fils, Ogier et Bohémond, et leur fille Esclarmonde ont été occis… La valetaille, sauf ma mère, fut épargnée à condition de se joindre aux pastoureaux…
    — Pourquoi votre mère a-t-elle été occise ?
    — Elle avait voulu secourir Esclarmonde… La petite avait quatre ans… Elle fut violée par quelques-uns de ces porcs avant d’être tranchée en deux par une épée.
    Ogier écoutait sans surprise, bien qu’à ses yeux accoutumés à de sanglantes scènes se peignissent à larges traits les excès de ces enragés.
    — Je sais, m’amie, quelles énormités ont commises ces démons… Mais je croyais qu’ils ne s’en prenaient qu’aux Juifs, ce qui d’ailleurs est aussi abominable que…
    Adelis trébucha ; il la retint contre lui, voulut la baiser sur les lèvres, mais elle le repoussa doucement.
    — Les Auriac auraient peut-être eu la vie sauve si les clercs qui conduisaient ces démons n’avaient vu, sur le linteau de cheminée, un candélabre à sept branches… C’était un présent fait au père de Béranger, en récompense d’une bonne action. Or, vous le savez : les pastoureaux haïssaient les Juifs. Ils en avaient meurtri des milliers par le fer et le feu… Tous les Auriac ont été occis… Philippe envoyait combattre les Gibelins… qu’on leur fit prendre pour des Sarrasins afin d’exacerber leur zèle. Tous furent exterminés.
    Adelis s’interrompit ; sa main, dans celle d’Ogier, devint plus molle.
    — Comment avez-vous su cela ?… Vous étiez si petite…
    — Par ma tante Alida… Elle m’a prise dans ses bras comme étant sa fille et s’est jointe aux pastoureaux. Ils sont passés par Ansignan, sont allés je ne sais où pour piéter vers Narbonne et Béziers. Alida s’est échappée quand ils traversaient le val de Galamus… Fuyant dans la montagne, elle trouva non loin de Puylaurens une maison de hurons. Il y avait là un homme et une femme. L’homme s’était rompu la jambe ; il ne pouvait plus assurer la vie de son épouse… Ils nous ont accueillies… J’ai vécu là dix ans, entre eux et Alida. Clovis parlait parfois des Ansignan que ses grands-parents avaient connus, mais je ne sais plus ce qu’il en disait. Alida parlait des Auriac… Clovis mourut, puis Simone, sa femme. Alida n’a pris que leur escarcelle ; elle contenait de quoi vivre cinq ou six jours… Elle voulait aller à Carcassonne… Nous y sommes arrivées… Et c’est là que ma vie a changé.
    Ogier prit sa compagne par l’épaule, et ce fut pour lui un plaisir doux-amer qu’elle ne cherchât point à se libérer. Ils passèrent sous un arceau de branches basses ; en se relevant, Adelis reprit avec une hâte un peu rude :
    — La pauvre Alida n’avait plus un écu ; la taverne où elle s’était arrêtée pour demander un hanap d’eau était pleine… et elle parvint à être acceptée comme vacelle [233] … Je l’ai vue monter parfois dans sa chambre avec un homme… J’ai vécu là-dedans jusqu’à l’âge de treize ans… sans souillure…
    Ogier baisa Adelis sur la tempe :
    — Je vous crois… N’élevez pas la voix ; on pourrait nous surprendre…
    — … mais un soir, un baron de passage a vidé son escarcelle sur la table… Le tenancier, sa femme… et Alida, qui était tombée bien bas, ont fait en sorte

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