Les fleurs d'acier
que je cède… Le lendemain, je m’enfuis…
Ogier approcha Adelis contre lui. Fermement. En méditant sur l’iniquité de certains destins, il regardait son terroir étalé devant lui, gris encore d’un reste de nuit. Il avait sur les filles follieuses des idées usées ; et voilà qu’il découvrait dans la jeunesse d’Adelis de quoi méditer sur l’injustice de Dieu Lui-même.
— Je n’avais rien sur le corps que ma camisole et mon gipon… J’ai erré, j’ai mangé je ne sais plus comment… Un matin, à Montauban, un homme m’a trouvée endormie sur son seuil… C’était un apothicaire… Il était vieux… Il était bon… du moins certains jours.
— Cette bonté, sourit Ogier, qui vous répugne !
Adelis ne dit mot mais s’éloigna de lui sans toutefois lâcher sa main.
— Parce que je lui devais ma sauvegarde, je n’ai pas eu de répulsion quand il m’a prise… Et puis, je m’étais résignée… Il me tenait prisonnière en sa maison et je n’avais droit qu’au cortil [234] où il me lâchait la nuit… nue… pour me courir après et me… salir. C’était sa joie, c’était sa chasse…
— Il n’avait aucun serviteur ?
— Un couple, vivant à l’écart de la demeure et n’ayant pas accès au jardin… Quand le vieillard est mort, j’ai pris un sac d’écus dans son coffre et me suis enfuie… Je suis allée droit devant moi… À Moissac, peu avant la nuit, je fus assaillie par quatre hommes. L’un d’eux s’appelait Croquart… De la bourse ou de la vie, j’ai choisi, bien sûr, la bourse.
— De toute façon, m’amie, c’était sans issue : après avoir pris votre vie, ils auraient pris votre bourse…
— Un chevalier les a dispersés… Si j’avais été moins sotte, je me serais ébahie que quatre gars très forts ne lui résistent pas… Il m’a proposé de le suivre. Il avait une belle demeure, non loin de là… Il était jeune et beau… et bon… J’ai mené auprès de lui, quelques mois, une vie de princesse. Robes, affîquets… Je ne m’en défiais nullement… Il s’absentait parfois, revenait avec des parures nouvelles : « Cela vous plaît-il, Adelis ? » Et moi, folle, je battais des mains… Et puis, un jour, Bertrand de Lauzerte est venu dans la chambre. Il avait un regard de loup… Il montrait les crocs… Il a déroulé un parchemin après avoir annoncé qu’il s’était ruiné pour moi. « Voyez, m’amie, tout ce que vous me devez… » Toutes ses largesses y étaient comptées, de même que les repas que j’avais pris… Il me demandait le remboursement immédiat de ce qu’il appelait une créance.
Adelis leva vers Ogier des yeux clairs, humides. Il crut qu’elle allait s’abattre en sanglotant contre lui ; il n’en fut rien.
— Je devais aller à Périgueux, chez maître Anseaulme…
— Un tenancier de bordeau.
— Oui… Et l’on m’y emmena comme une prisonnière… Et c’est ainsi qu’un jour, pour me soustraire à cette captivité, j’ai accepté de suivre Saint-Rémy pour une semaine… en me disant que je lui échapperais. C’est ainsi que je me trouvais dans sa forteresse putride lorsque vous y êtes venu, peu avant que les Anglais n’en donnent l’assaut…
— C’est ainsi, dit Ogier, que nous avons fait connaissance.
La petite main pressa la sienne.
— Vous voilà libre, à présent.
Adelis parut frappée par ces mots. Sa voix, sous la fureur, devint méconnaissable :
— Libre de quoi ? Sans un écu vaillant et sans personne au monde ! Libre de retomber dans…
Il l’interrompit doucement, effrayé à l’idée de lui déplaire et de la perdre :
— Vous me suivrez toujours, Adelis. Non pas comme une concubine, mais comme une amie chère.
— Cela n’aura qu’un temps… Je ne veux pas recommencer ce que nous avons fait !
— Je ne vous demande rien… Je vous aime bien… Aude aussi… Avez-vous vu comme elle a consenti à vous donner les robes de notre mère ?
Gratot s’éleva devant eux. Ils marchèrent vers la tombe vide par laquelle on accédait au souterrain.
— Il est temps que nous arrivions : il nous faudra en hâte nous préparer à partir. Regrettez-vous cette nuit, Adelis ?
Ogier sentit sa main serrée très fort. C’était une façon de répondre.
Ils s’apprêtaient à traverser la cour quand un homme bondit, un vouge en avant :
— Qui va là ?
Ogier détourna vigoureusement l’arme :
— C’est moi, Raymond… et
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