Les fleurs d'acier
révélation de l’impudique sérénité de la jouvencelle ni le dégoût avec lequel elle jetait le haillon sur les braises – sans lui demander s’il le voulait pour confondre son agresseur –, c’était qu’en n’ayant commis rien de répréhensible en quelque sujet que ce fût, il s’était fait un ennemi.
— Avez-vous vu cet homme ?
— Non, Isabelle. Par précaution, il avait éteint la torche de l’escalier.
Elle effleura d’un doigt ces lèvres qu’Ogier sentait se durcir et gonfler :
— Souffrez-vous ?
Elle le fit asseoir sur le lit et demeura debout, par prudence.
— Un poing pareil à un boulet de bombarde !… Savez-vous, m’amie, à qui je pense ?… Raoul… Je lui déplais… J’ai des dents solides, heureusement !… Mettez-moi un peu de fraîcheur là-dessus.
Il lui tendit sa bouche ; elle la tapota d’un coin de serviette humide. Il eut son souffle contre son front et vit mieux encore, par la brèche du pelisson, les fruits charnus et rapprochés.
— C’est sûrement Raoul… Raoul de Leignes. Petite noblesse : plus de fief et, en conséquence, une avidité à la mesure de ses mains. Il voudrait m’épouser… Je ne suis, après tout, qu’Isabelle Dary…
Ogier se dit qu’il avait dû entendre un nom pareil. Ou presque. En quel lieu ? C’était très loin. En évoquant les mains , Isabelle avait frissonné.
— S’il n’était le fils d’un des défunts compagnons de mon oncle, jamais il ne serait entré à Morthemer.
Et les sourcils froncés, les yeux réprobateurs :
— Cessez donc de regarder mon col !
— Ce n’est pas votre col mais tout ce qu’il révèle.
Ogier sourit et crut que sa bouche éclatait. La douleur atteignit ses joues, son menton : « Le malandrin ! » La fugacité d’un tel assaut le désemparait : il avait cru surprendre, il était confondu.
Il se leva ; Isabelle recula aussitôt :
— Qu’obtiendrais-je si je portais vos couleurs… victorieusement ?
Il n’affirmait pas qu’il les porterait. Et lui qui n’avait jamais senti sur sa peau la brûlure d’un regard, voilà qu’elle le considérait comme un objet ! Sans doute le prenait-elle pour un présomptueux.
Elle referma son col, ce qu’elle eût pu faire depuis longtemps. Avait-elle voulu lui fournir assez complaisamment la preuve charnelle qu’elle était disponible ?
— Blainville fut un des meilleurs l’an passé. Aux joutes, il a bouté mon oncle sans effort. Au tournoi, ils étaient trente contre trente. Les tenants d’Alix d’Harcourt et de son époux ont triomphé… Vous, nul ne vous connaît : on vous prendra parmi les petits.
À nouveau le dédain. Ou la moquerie. Ogier soupira. Il avait le temps pour se décider à porter l’emprise de cette donzelle à son coude senestre, d’autant que dans l’assistance il découvrirait peut-être une aimable jouvencelle.
Tandis qu’il pensait à ces choses, Isabelle, les bras croisés, le considérait sans gêne apparente, le mettant au défi d’avoir la moindre audace, bien qu’il vît à nouveau ses seins presque tout entiers. Oserait-il ? Il avait à sa portée cette gorge insolente… Que risquait-il ? Une gourmade [261] . Que serait-ce après un heurt à lui démancher la tête ?
Elle sourit ; des paillettes d’or criblèrent ses prunelles :
— À quoi songez-vous, messire ?
— Je me dis : elle est de bel estoc [262] et de taille divine.
— Si vous êtes doué pour les calembourdaines, le serez-vous votre lance à la main ?
Ils jouaient sur les mots sans même se sourire. Ogier tendit les bras. Isabelle le laissa la retenir contre lui, le temps qu’il vît encore, dans la corolle de son habit, cette brève éclaircie de chair tendre et gonflée. Dessous, il imagina les contours, les vallonnements ombreux et tièdes.
— Bas les mains, messire… Je ne me donnerai qu’à mon époux… À moins que…
Ogier s’éloigna pour passer son pourpoint, saisir sa ceinture d’armes et s’en ceindre :
— À moins que, damoiselle ?
Elle avait une main sur la poignée de porte ; elle ne se retourna pas :
— À moins que vous ne fassiez mes quatre volontés.
— Quelles sont-elles ?
— Occire Blainville.
Il tressaillit et se retint d’avouer qu’il en avait l’intention.
— Pourquoi, m’amie ?
Vaine question. Il s’en était douté. Elle poursuivit, sèchement :
— Occire Raoul.
— S’il me cherche, et c’est ce qu’il me
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