Les fleurs d'acier
chevaliers et écuyers dans un estequis [280] … Il y a capturé Kenfort, qu’il a dû rendre une semaine après !… Alors, nous avons galopé à Auberoche. Et Auberoche se rendit. Derby est parti pour Bordeaux, laissant la ville à Francke de Halle, Jean de Lindehalle, Alain de Finefroide et moi… Les gens de France nous ont bientôt cernés… Et sais-tu qui j’ai vu, auprès du comte de l’Isle et des barons de Pierregord ?
— J’aurais du mal à le savoir et vous laisse me l’annoncer.
Briatexte prit une vaste inspiration, et cracha plutôt qu’il ne dit :
— Ton oncle.
Cette réponse suffoqua Ogier. Les yeux de son interlocuteur eurent un éclat métallique.
— Guillaume de Rechignac !… Ça t’ébahit, pas vrai ?… Il nous a enjoints de nous rendre en nous promettant mille maux si nous résistions. Je lui ai répondu : « Va te faire lanlaire ! » Et il m’a reconnu… Quoique suffisant de lui-même, il m’a paru affligé. Autour de lui, les chevaliers se faisaient fort de nous vaincre : nous étions mille et les Franklins [281] dix fois plus. Ils avaient quatre perrières avec lesquelles ils ont démantelé les tours, mais les murs ont tenu, de sorte que le siège a duré… Nous avons décidé d’envoyer un message à Derby. Nous avons cousu le parchemin dans le haubergeon d’un gars connaissant la langue d’oil et la langue d’oc. Mais il a été reconnu par ton parent !… Ah ! il était fier, le Guillaume, en venant nous montrer sa prise !
— Ensuite ? demanda Ogier.
Il plaignait tout à coup son oncle. La perte de Claresme chevauchant vers Tolède et celle de Tancrède allant à l’aventure l’avaient meurtri au point que pour oublier ces abandons, il avait rendossé le harnois de guerre !
— Ensuite ? Rechignac a fait lier cet homme. Il l’a fait placer sur la cuiller de la plus grosse perrière et nous l’a lui-même renvoyé dans la cour.
— Il a fait ça, lui ?
Briatexte se réjouit de cette stupéfaction. Sautant en selle, il ajouta :
— Chez les Franklins, il y avait un traître : un gars du nom d’Apunzac. Il les a quittés après le coup de la perrière, de sorte que Derby est tombé sur nos assiégeants désarmés… C’était la nuit de la Saint-Séverin. Ils se gavaient et se saoulaient la goule. Nous avons fait une sortie… Pris en tenaille, comme on dit, chevaliers, écuyers, soudoyers ont été à la fête… Autant te dire que les morts furent nombreux. Louis de Poitiers, occis, son frère Aimery prisonnier…
— Et mon oncle ? coupa Ogier. Quel fut son sort ?
Sans Guillaume, qu’allait devenir Rechignac ? Le seul personnage important du château, c’était Mathilde ! Cette inquiétude mit Briatexte en joie :
— Il a été retenu en otage. Je suis allé le voir sur sa paillasse. Il avait reçu un taillant à l’épaule. Il m’a craché dessus : tant pis pour lui. S’il n’a pas pu ou voulu s’acquitter de quelques sacs d’écus, je ne sais ce qu’ils en auront fait !
Ogier serra les dents. Ces événements avaient dû avoir lieu en octobre. On était en avril : sept mois. Qu’était devenu Guillaume ? De toute manière, il ne pouvait rien pour lui : leurs destins seraient toujours incompatibles. Et pourtant, l’envie le démangeait soudain de revenir à Rechignac.
« Plus tard, décida-t-il. Ce que je fais ici est important. »
Le regard de Briatexte l’exaspéra :
— Saleté de guerre !
Artus hennit : son cavalier lui faisait goûter le mors.
— Allons, viens… Fenouillet !… Chauvigny nous attend… On dirait que nos retrouvailles te contrarient.
Ogier chevaucha auprès du Breton, méfiant lui aussi, quoiqu’il feignît la gaieté. Dans les champs, l’eau des mares en dissolvant la terre avait pris la couleur du sang.
— Où logez-vous ? Où avez-vous establé vos chevaux ?
— Chez le baron de Morthemer.
— Ah ! bien.
Quelle que fut sa maîtrise de soi, Briatexte paraissait étonné, contrarié, et même inquiet.
— Le connaissez-vous, Enguerrand ?
— Non… Mais j’ai déjà ouï ce nom-là.
Comment savoir s’il disait vrai ? Thierry amena Veillantif à la hauteur du Breton :
— Le baron nous a bien conjouis. Faut vous dire que sa nièce, Isabelle…
D’un regard, Ogier lui enjoignit le silence. À quoi bon raconter à ce Breton leur affaire avec les Charlots ?
— Il a une nièce !… À voir, compère, le coup d’œil que tu as lancé
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