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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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En écoutant, enfant, les propos des seigneurs de passage à Gratot, il avait douté que la guerre fut aussi cruelle qu’ils la décrivaient. Il s’était dit que la bonne chère, le vin, le cidre les échauffant, ces bataillards renchérissaient sur les détails effrayants avec d’autant plus d’ardeur qu’ils étaient saufs et loin des champs de mort. Il les avait crus parfois mensongiers comparés à son père, sobre et mesuré dans les récits de cette espèce. Eh bien, tous ces bavards disaient la vérité. La boucherie de l’Écluse et le siège de Rechignac lui avaient fourni un chapelet d’émois et de souvenirs épouvantables.
    — La guerre… soupira-t-il, mécontent.
    — Putain de guerre ! Et tu n’es pas du bon côté, Ogier. Philippe VI a fait ton malheur.
    — Sur les instances de Blainville, que tu peux ou dois connaître… et honorer !
    — Ton roi, ces derniers temps, est pris de folie homicide… À femme folle et boiteuse, époux dément et justice clochante… Quand il cesse de s’en prendre aux Bretons, les Normands souffrent à leur tour… Comme il ne se pardonne pas d’avoir laissé partir Godefroy d’Harcourt, il tue du bas en haut du Cotentin… Venant de Gratot, tu dois le savoir mieux que moi !
    — N’étant pas un traître, je ne peux rien savoir mieux que vous.
    Ogier reprenait vivement ses distances. Plutôt que de s’irriter, Briatexte devint pensif :
    — Philippe a fait occire des hommes que ton père a dû côtoyer : la Roche-Tesson, Bacon, Percy… et Henri de Malestroit, son ancien maître de requêtes [286] .
    — Mon père les connaissait, confirma Ogier. Il a refusé de m’en parler. Les malheurs de notre duché l’éprouvent… Et j’ajoute ceci, Enguerrand : c’est sans doute Blainville qui fit avertir Godefroy d’Harcourt de s’enfuir quand sa vie fut menacée… Le plus grand des traîtres, c’est lui !
    Briatexte fronça les sourcils :
    — Le désir de liberté ne saurait être un crime. Moult Normands et Bretons en sont épris et prêts à se battre pour l’obtenir !
    Il y eut un silence empli par la toux d’Adelis. La veille, elle avait dû prendre froid.
    — Ah ! messires, dit Thierry, trahison ou pas, je crois, moi, que les gens deviennent ce qu’en font les fureurs de la guerre, et vont ainsi contre leur vraie nature : celle à laquelle leur naissance et leur entourage les disposaient… On doit devenir un félon plus aisément qu’un preux !
    — Bien dit, acquiesça Briatexte. Sensible aux voix de tes détracteurs, et sans que tu puisses assurer ta défense, ton suzerain décide un jour de confisquer ta demeure et ton fief. Pour exécuteurs de son bon plaisir – plaisir de roi, plaisir divin –, il commet à sa solde les pires malveillants de ton terroir : les envieux, les dévoyés. Lire un arrêt de Cour ? C’est trop peu pour leur goût. Fiers et assurés de leur impunité, ils viennent un jour chez toi, à vingt, pas un de moins, tuent quelques serviteurs… puis forniquent ta femme et tes pucelles jusqu’au trépas… Ils châtrent les garçons, puis ils les décapitent… Ton frère revient des champs ? Ils le violent et le laissent pour mort. Ils se gobergent et cassent tout. Ils rient en piétinant tout ce qui fut ta vie, tes amours, ton ouvrage… À ton retour, car tu étais absent, tu ne trouves plus rien, sinon des morts et des ruines… Tu survis au malheur, mais crois-moi : dès lors, toutes les alliances te sont bonnes. Tu étais bon, loyal ? Tu deviens infernal !
    Ogier avait écouté sans mot dire, sentant dans sa conscience même se déverser la haine de cet inconnu. Qui était-il ?
    Briatexte eut un sourire méprisant :
    — Victime du roi de France par le truchement de Blainville – à ce que tu dis, Argouges-Fenouillet –, voilà que tu lui restes acquis !
    — C’est vrai… Je veux qu’il me rende justice… Ensuite, je verrai.
    Ogier se reprocha cette restriction : elle révélait trop bien son désarroi. Mais quoi ! il s’énervait. Il voulut s’en expliquer, Adelis l’en empêcha :
    — Cessez donc de vous disputer. Nous sommes rendus.
    Talonnant sa jument, elle pénétra dans une allée d’ormes et de chênes. La paix de ce sanctuaire végétal au sol d’ombres et de lueurs vernissées d’humidité, ne rendait que plus discordants les cris et les martèlements jaillis au-delà de son abside.
    — Voilà des manants que, de loin, on peut croire

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