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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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ménestrels et leurs fous ; on le leur pardonne parce qu’ils sont fortunés. Pas vous… Oh ! certes, vous n’avez pas piteuse apparence, mais…
    Elle le pensait, tout de même. Plongeant dans la ramure, un rayon de soleil éclaboussa ses yeux, son front, ses joues. L’expression de son visage devint farouche. Ogier sut que cette femme serait plus qu’aidable : dévouée.
    — Je ne me soucie pas de ce qu’on pensera, dit-il. Raymond, que nous as-tu rapporté ?
    — Pain, pâté, saucisses et bacon. Quant au vin, tel ce fourrier qui s’éloigne, un vigneron passe avec des tonneaux… Nous n’avons qu’à l’attendre avec nos pichets.
    Les chants d’oiseaux pétillaient dans les arbres ; au loin, des chevaux hennissaient, excités par l’odeur du fourrage. Il faisait beau. Malgré ce qu’il nommait pour lui-même son deuil, Ogier sourit :
    — Allons, compagnons, je vous invite à manger.
    Marcaillou tendit Apolline, toujours endormie, à Hérodiade. Écartant Denis, soucieux, la jongleuse alla coucher la guenon sous la tente puis, poussant Raymond :
    — Tu permets que je m’asseye près de toi ?
    Marcaillou dessella les trois chevaux étiques et s’en alla les attacher à proximité des autres. À peine assis auprès de Thierry, il empoigna son luth. Tandis qu’après un signe de croix sur la croûte, Hérodiade rompait le pain, il chantonna, le regard errant au-dessus des bannières :
     
    Il me plaît de voir dans les prés
    Tentes et pavillons dressés
     
    — Bertrand de Born [346] , dit-il.
    — Je sais. J’ai vécu cinq années dans son pays natal. Et songeant aux douces vesprées de Rechignac, Ogier reprit :
     
    Et me prend fort grande allégresse
    Quand dans le val je vois rangés
    Chevaliers et chevaux armés…
     
    — Holà ! dit la jongleuse, vous chantez bien.
    — Je sais tout faire.
    Hérodiade baissa la tête, puis avec cette hardiesse joyeuse dont elle avait usé avant et après sa danse :
    — Même l’amour ?
    Ogier croisa les regards de tous ses compagnons, qu’il trouva exagérément attentifs. Entre ses cils battants, la jongleuse l’épiait, épiée elle aussi par son frère.
    — Ce n’est pas, dit-il, à moi d’en juger.
    — Pour la joute, Thierry, tu n’as rien à redouter de Veillantif : ce destrier [347] sait fournir de grands et merveilleux galops. Qu’il soit borgne du côté dextre ne peut te nuire : c’est de l’autre œil qu’il verra la barrière, et Blanquefort l’a bien dressé : quelle qu’en soit l’apparence, il ne craindra pas ceux qui courront devers vous… Dans les joutes du passé, tout comme nous cet hiver à Gratot, les hommes couraient l’un vers l’autre à plein champ. Ils frappaient quelquefois le vide parce que leurs chevaux, prudents, s’écartaient au moment où le heurt aurait dû se produire. Il fallait recommencer de grand randon ; il advenait alors que les destriers, bien tenus en ligne, s’affrontent et tombent avec leur jouteur ; la foule s’ébaudissait, tu penses bien… C’est pourquoi, toute frêle qu’elle paraisse, la barrière est précieuse. Pendant que tu fourbissais mon armure avec Raymond, je suis allé la voir et même la toucher. Elle est longue de cinquante toises et haute comme le poitrail d’un cheval : c’est bien. Serre-le fort comme si tes genoux étaient un étau de forge, et arrête ton homme en le frappant de droit fil… J’ai vu un jour aux joutes de Thiviers…
    — … que vous avez remportées…
    — … Garin de Linars, ce mécréant auquel mon oncle voulait donner Tancrède en mariage, se faire lier sur son destrier, sa lance elle-même attachée à son flanc… Elle remuait au point qu’il ne m’a pas touché. Je l’ai buqué avec sa selle et ses harnois… J’ai vu également des hommes tourner bride, nullement par couardise mais parce qu’ils poignaient insuffisamment leur lance ou sentaient leur cheval mal parti : leur coup aurait manqué de vigueur… Même si l’assemblée hurle son mécontentement, tu dois agir ainsi : il te faut galoper en toute sécurité…
    Ils s’entretenaient familièrement dans le grand champ où ils venaient d’exercer Veillantif et Marchegai. Devant eux, la cité de toile et de soie élevait ses cônes et ses toits pentus, ses pennons et ses estranières [348] au-dessus desquels cent étendards éployés semblaient frémir d’orgueil. Toutes les brisures de l’arc-en-ciel buissonnaient au sol pour

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