Les fleurs d'acier
tu verras, sous la poussée de ces fleurs d’acier [352] .
Dans les pâtis à l’entour, des hommes s’exerçaient ; des cris, des jurons et des rires accompagnaient le martèlement des galops. Certains, malmenés, protestaient : les orgueilleux cherchaient déjà des satisfactions médiocres.
Comme ils approchaient du champ clos, retenant leurs chevaux agacés par les mouches, Ogier leva les yeux sur le château d’Harcourt. Ce serait donc là, dans les profondeurs de la colline où s’enracinait ce donjon pointu, que Blainville, Cahors et d’autres décideraient du nouveau coup porté au royaume de France… Un peu plus bas, au-dessus d’un écheveau de feuillages pareil à un gorgerin de velours, la citadelle de l’évêque exposait au soleil sa face plate, énorme, ombrée par les sourcils des baies et les bourrelets des merlons. Quand le vent soufflait, une rumeur de joie dévalait des hauteurs, franchissait les murailles et le Talbat miroitant pour se dissiper dans la plaine.
— Les gens continuent d’arriver.
— Ils seront deux ou trois milliers, à ce qu’on dit…
Par petits groupes, des cavaliers, des manants et des hurons à pied convergeaient vers Chauvigny. Ces derniers, déhanchés par quelque fardeau – panier, hotte, besace, couvertures roulées afin de passer la nuit au chaud dans un bosquet ou sur le pré – avaient semblait-il avancé la célébration de Pâques à grandes goulées de vin ou d’hypocras. Et si quelques fesse-pinte s’engageaient sous la porte de l’Aumônerie pour aller vider maints pichets supplémentaires en taverne de connaissance, si d’autres, apercevant l’Âne d’Or, obliquaient vers l’hôtellerie, la plupart, suivis de leur épouse et de leurs enfants, s’égaillaient sur les champs disponibles dans l’intention d’établir leur gîte à proximité des barrières afin d’être bien placés dès l’aube du dimanche ; et retentissaient-ils que leurs chants, leurs rires, leurs exclamations dominaient le tumulte de la cité.
— Quel mélange, messire, chez ces pèlerins !… Il y a quelques seigneurs, leur femme ou leur amante sur une mule ou une haquenée…
— Et moult filles follieuses.
Leurs longs cheveux luisaient comme des ostensoirs. Elles étaient outrément décolletées. Pour s’annoncer, elles se mirent à danser en frappant des tambourins, soutenus par les claquements de mains de leurs compagnons de rencontre. Dans l’ombre grise des feuillées, les aciers des armes et des vêtements de mailles prenaient des luisances d’étoiles.
Ogier porta ses regards du côté des échafauds. Des groupes s’y croisaient en processions confuses où l’éclat des velours et des cuirs tranchait sur la matité des humbles vêtements, plus nombreux. Ce va-et-vient de seigneurs et de dames peu ou prou fortunés, d’hommes d’armes et de citadins ne cessait de s’aviver. Chacun semblait pressé de retrouver quelqu’un : les uns marchaient sans s’arrêter ; d’autres s’immobilisaient, questionnaient, s’agitaient. Les femmes ayant pour domicile une litière, un chariot couvert ou un médiocre pavillon de drap, s’éloignaient à pas vifs de la presse, accompagnées parfois d’une servante ; la plupart se plaignaient sans doute de n’avoir pu coucher en ville. Et qu’elles fussent logées en hôtel ou aux champs, toutes s’encoléraient que les ribaudes échevelées qui les bouteculaient en les moquant aient pu quitter leurs bordeaux alors qu’en maintes cités, pour Pâques, on les chassait hors des murs, à moins qu’on ne les enfermât en maladrerie. Toutes également prisaient d’un regard glacé la grâce des jouvencelles. Accroupetonnés sur le seuil de certains pavillons, des tailleurs œuvraient, et lorsque passait quelque oisif de cette communauté suivi d’un apprenti portant ciseaux et aiguiller à la ceinture, deux ou trois rouleaux de tissu sous l’aisselle, il se trouvait toujours quelque dame insuffisamment parée pour requérir leurs services. L’époux souvent approuvait, palpant et caressant comme une jeune peau l’étoffe tentatrice et priant même, parfois, les hommes d’art de lui confectionner un jaque ou un pourpoint de liné, de cariset ou de soierie. Certains couturiers acceptaient, d’autres protestant que deux jours c’était peu pour couper, essayer, coudre et broder, indiquaient une taillerie près de la porte Copin, au pied du château baronnial :
— Dix personnes y œuvrent,
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