Les fleurs d'acier
et pure, sur les rocs du ruisseau. Et soudain, contre sa volonté, le visage de Tancrède effaça celui d’Adelis. Elle lui avait dit : « Je crois bien que je t’aime » or, dans ses bras, elle n’avait pas eu plus d’émoi qu’une figure de pierre. Elle était cependant attrayante, mystérieuse et irrésistible. Comme la mort.
— En grièvant Renaud, vous allez venger Jean.
Sous leurs fins sourcils, les yeux d’Adelis semblaient pleins d’émoi, de tendresse, et ses lèvres tremblaient. Elle s’approcha, le front clair, la démarche lasse ; il sentit son haleine et l’odeur de son corps – légères et d’autant plus émouvantes.
Soudain, les paupières à demi baissées se soulevèrent ; dessous, les iris bleu-vert semblaient fondre. Ainsi, pour lui, elle s’apeurait aux larmes !
— Soyez quiète, m’amie, dit-il, apitoyé.
— Revenez-nous, messire !… Avec ou sans elle.
Bressolles était loin, occupé auprès de Thierry et Raymond. Adelis hésita, et joignant ses mains fines :
— Sans vous… sans vous…
C’était un aveu, assorti d’une prière impossible. En deux pas chancelants, elle disparut.
IV
La forêt d’Augignac les avait absorbés. Les chevaux avançaient dans un lent clapotis, sous les voûtes ruisselantes, respirant à pleins naseaux l’exhalaison presque charnelle des verdures amoncelées. La pluie encore. Elle bruissait sur le bassinet d’Ogier et poissait la crinière de Marchegai dont l’encolure scintillait. Tout près, dans son armure noire, Briatexte se laissait mener par Artus. Devant, Thierry et Raymond, le dos courbe, parolaient à mi-voix. Passavant les suivait, chargé de l’écu, d’une lance – celle du défunt Blanquefort – et des armes.
— Est-il hardi ? demanda tout à coup l’ancien compagnon de Robert Knolles.
Les feuilles des arbres ébroussés par le vent voltigeaient devant eux en cohortes et centuries dont les souffles puissants précipitaient la déroute.
— Est-il hardi ? insista Briatexte.
Les gouttes foisonnèrent ; de lourdes perles cinglèrent les lèvres et le nez d’Ogier. Il fut tenté de clore sa visière.
— La haine donne force et audace !
L’incertitude l’avait envahi alors qu’il se mettait en selle ; maintenant, elle l’étouffait. Oui, Renaud se battrait avec forcennerie.
Il leva la tête. Ce qu’il vit du ciel, à travers les ramures, le consterna : pareils à des dragons blessés, fuyant en répandant leur sang, certains nuages pâlissaient ; d’autres les pourchassaient, monstrueux et livides.
— Une glissade sera plus redoutable encore qu’un coup d’épée !
Il crispa ses gantelets sur les rênes. Malgré son écorce de fer, il percevait la mauvaise humeur de ses compagnons ; il la comprenait, bien qu’elle lui devînt désagréable. Car enfin, ils ne risquaient qu’un rhume.
— Cet outrecuidant nous aura retardés !
— Êtes-vous impatient, Enguerrand ?… Nous ne vous retenons pas en otage… Vous pouvez galoper où bon vous semble… Et d’ailleurs, en quel lieu pensez-vous nous quitter ?
— Poitiers.
Satisfait de cette réponse acerbe, Ogier continua d’observer, en lisière du chemin, les fourrés aux pelages fauves sur lesquels des oiseaux sautillaient comme des puces.
— Il me tarde à moi de sortir d’ici.
Il redoutait la profondeur de ces océans de feuillage où tout ce qui tuait – hommes et bêtes – pouvait se tenir à l’affût. Il maudissait ces racines à fleur de terre contre lesquelles Marchegai trébuchait, ces halliers pareils à des ours pétrifiés, ces lierres dont les spires musculeuses abandonnaient les troncs pour nouer, à quelque branche effeuillée, une guirlande aux luisances de bronze. Malgré, soudain, les sifflotements d’un merle, tout ce végétal exsudait une tristesse infinie ; mais devant, une brèche s’ouvrait : il faisait clair.
— Nous y serons bientôt, dit Thierry.
Ils sortirent un par un du tunnel de verdure. Une allée de grands peupliers apparut, et le sol devint herbu. Des moutons et des chèvres broutaient là, surveillés par un homme coiffé d’une cervelière, un vouge au poing en guise de houlette. Il observa les intrus avec une indifférence feinte : aussitôt qu’ils l’eurent dépassé, la plainte de son olifant ondula dans le ciel, provoquant autour de lui des bêlements d’apparence moqueurs. Thierry et Raymond s’esclaffèrent ; Briatexte désigna le but de leur
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