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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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prise.
    Il eût pu la traiter de folle, mais il renonça tant on les observait. D’ailleurs, par l’esprit, il démembrait cette enveloppe luisante jusqu’à revoir Tancrède telle qu’il l’avait connue, dans sa nudité limpide, sur le grand lit encourtiné de Rechignac. Il s’étonna que son désir de l’étreindre, pourtant assouvi, eût resurgi au tréfonds de lui-même avec la lancinante acuité des jours enfuis. Allons ! Il devait puiser dans ces souvenirs tièdes encore la volonté de se désensorceler.
    Il désigna Renaud, la tête invisible sous son heaume terne, cylindrique, vieux d’au moins trente ans :
    — Il m’est égal d’affronter ce pourceau. Mais si je perds la vie…
    — Tes amis me défendront… même messire Briatexte.
    Le compagnon de Robert Knolles s’inclina, la dextre sur le cœur, tandis que celui d’Ogier s’emplissait d’un sentiment amer, pire que la jalousie. Rien, jamais, ne pourrait assagir cette fille. Elle croyait dur comme fer à son pouvoir souverain, et en dépit des circonstances, l’impression de langueur qui, malgré l’armure, se dégageait de sa personne, ressemblait étrangement à de la volupté. Broiefort fit un écart ; elle rit, s’anima :
    — Beau cousin, cesse donc de faire ce visage ! Tu vivras, j’en suis assurée. Tu vas débeller [46] ce huron.
    Ogier resta muet. La mort de Jean, puis une nuit de captivité, d’inquiétude ou d’angoisse lui restituaient une Tancrède inchangée. Quelle créature ! Elle semblait insensible à la peur, à la vergogne ; elle méprisait les façons retorses et les cautelles mais en usait à son avantage. Tout ce qu’elle convoitait, elle l’obtenait sans pousser le plaisir de possession à son comble, sans jamais éprouver le moindre repentir. Ainsi, cette armure : elle l’avait robée à son beau-frère ; elle la portait fièrement et le remords ne la tourmentait pas. C’était pour elle une délectation de ne s’assujettir ni aux êtres ni aux principes, et tout en la regrettant sans oser l’avouer, elle s’accommodait de sa condition de fille, sachant toujours jusqu’à quel degré de complaisance ou d’abandon elle pouvait condescendre. Présentement, et sans qu’elle s’en dissimulât, elle se réjouissait d’assister à une fête mortelle.
    — Je vais, beau cousin, t’ennorter [47] à saigner ce chapon !
    Tout le mystère de la mort et toute la fureur de vivre semblaient soudainement procéder de cette voix mi-souffle mi-baiser.
    — Allez-vous commencer ? hurla Thibaut d’Augignac tandis que Renaud s’agitait sur sa selle, communiquant son impatience à son roncin pommelé, harnaché de cuir neuf.
    Briatexte sourit ; sa voix devint rugueuse :
    — Vieillard, es-tu pressé de voir périr ton gars ?
    Le baron resta coi. Sa mise était simple : du noir des pieds au chaperon afin, sans doute, de conjurer le mauvais sort. Un tic plissait ses joues plates, d’un jaune amati comme l’écorce des citrouilles, et triboulait parfois son menton en jachère. Il n’avait qu’un poignard accroché à la hanche. Son sénéchal vint prendre place à sa dextre. C’était un quinquagénaire maigre et solennel. Ce fut à lui, sciemment, qu’Ogier s’adressa :
    — Avez-vous fait aviser mon oncle que sa fille était en votre pouvoir ?
    — Non ! hurla Renaud sans se désheaumer.
    — Êtes-vous prêt, messire ? demanda le sénéchal.
    Des bas-de-chausses au chaperon, il était vêtu d’écarlate grise.
    Ce riche tissu accusait sa minceur, sa grandeur, et si sa tête glabre semblait insignifiante, c’était en raison du voisinage immédiat du garçon qu’Ogier détestait : l’Entaillé. Ce félonneux avait des mains crochues et pâles – des serres d’étrangleur. Derrière lui, roides sur leur cheval, deux hommes d’armes attendaient : l’un tenait le bouclier de Renaud, l’autre sa lance dont le picot semblait enduit de poix. L’écu, en forme de cœur noir, devait avoir cinq pieds de haut et sa guige [48] , plus large qu’un ceinturon, était parée d’orfroi.
    « Ces armes excèdent les forces de ce malandrin. »
    Sur cette pensée, Ogier considéra Tancrède. Dans l’ovale du bassinet, son regard était celui d’une chatte à l’affût. Elle passa lentement sa langue entre ses lèvres :
    — Ce malfaisant s’écueille [49] . Fais-en autant et tue-le !
    Ogier s’aperçut qu’il transpirait. Tuer. Occire encore. Le désir qu’il en éprouvait

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