Les fleurs d'acier
devant elle allait être terni s’il n’exécutait point Renaud vélocement.
— Je le vais meurtrir, cousine, mais par goût de justice, nullement pour te complaire… C’est à lui que revient la mort de Blanquefort. Il avait scié son épée avant qu’il combatte le champion de Robert Knolles. Ne te l’avais-je pas dit ?
Et sans plus se soucier de Tancrède :
— Ma lance, Champartel !
Il empoigna l’arme humide sous le garde-main et la brandit devant Renaud :
— La reconnais-tu ? C’est celle de Blanquefort, que tu fis occire par une fallace [50] exécrable !
— Votre targe, messire, dit Champartel. Laissez-moi tenir un moment ce glaive [51] .
En grimaçant, Thibaut d’Augignac désigna les fauves diffamés peints sur la face du bouclier :
— Deux lions dont vous ne pouvez être fier !
Il y eut des rires. Occupé à passer son bras dans la première énarme de l’écu [52] , Ogier ne répliqua rien. À quoi bon s’encolérer pour un trait de cette espèce ; l’important, c’était qu’il se sentît solide sur sa selle et confiant en Marchegai ; indestructible, avec au fond de lui, tel un brandon énorme, ce grand besoin de violence homicide.
Raymond agita la hache d’armes :
— Elle vous attendra, messire, au bout de la lice, là-bas…
Comme son cheval, impatient, encensait, Ogier rempoigna fermement la lance entre le garde-main et la grappe [53] et, relevant la tête :
— Je suis prêt, Augignac.
Ensuite, négligeant son ennemi, il interpella le baron :
— Mes armes sont, messire, ce qu’un méchant larron les a faites. Mais elles recouvreront leur intégrité… Votre fils, qui lui ne fut jamais intègre, va perdre sur-le-champ tout espoir de le devenir !
Et nullement gêné par le poids et l’encombrement de son écu, il rabattit sa visière.
*
« Oh ! le présomptueux… Il a brisé son bois sur mes lions ! »
Simultanément, le picot de la lance d’Ogier pénétra au bon milieu de l’écu adverse, repoussant Augignac contre son troussequin.
« Il chancelle et va tomber… Non !… Quelle male chance ! »
Lâchant le fragment de hampe coincé sous son aisselle, Renaud tourna bride et rejoignit les siens.
Ogier, d’un bref galop, fut auprès de ses compagnons, remit sa lance intacte à Champartel et saisit la hache d’armes dans la poigne de Raymond qui hurla :
— Messire, tournez-vous ! Il va vous meshaigner !
Approuvé par des clameurs et des sifflets, Renaud se ruait à l’attaque en moulinant une francisque.
« Ruin [54] et déloyal ! Je vais l’aborder du côté opposé à son arme. Il devra pour frapper se tordre et se pencher ! »
Déjà, les destriers s’aheurtaient. Le bouclier d’Ogier frémit sous un fendant d’une violence insoupçonnée.
« Bon Dieu ! » Il était désavantagé face à cette hache longue et lourde. Il aurait dû prévoir que ces perfides useraient des pires moyens pour le vaincre.
Les coups pleuvaient sans qu’il pût rudement y répondre. Son bras gauche vibrait, douloureux jusqu’aux os, mais sa main gantée de fer demeurait rivée à l’énarme de son écu. Entre deux ahans, il entrevit une épaule et frappa : le croissant d’acier poitevin glissa sur le bouclier de Renaud, prompt à l’esquive.
« Et voilà que ce malfaisant veut m’accabler ! Je ne vais pas rester à embourser [55] des coups ! »
Sur leur fond d’azur craquelé, les lions d’or équeutés sursautèrent.
Ogier contre-riposta, crut pouvoir atteindre Augignac à la hanche, mais celui-ci, éperonnant son cheval, s’effaça.
« Si ce malandrin se dérobe, pas moi ! »
Il revint à la charge l’arme haute et d’instinct, en l’abattant, pressentit le danger. « Tu l’as mal engagée. » Trop tard : sans surprise, saoul de rage, il entendit un craquement et sut – pas question de voir – que le manche de sa hache était rompu.
Le rire de Renaud, sous sa défense de fer percée de trois trous – les yeux et la bouche –, fut d’autant plus éclatant qu’autour des combattants la stupeur avait balayé les encouragements et les huées. « Rien à faire ! » Avancer ou reculer serait se découvrir, et malgré l’armure, se mettre en péril de mort.
— Achève cet estrif [56] , cousin ! hurla Tancrède.
Les cris recommencèrent tandis qu’Ogier subissait plusieurs assauts imprécis. Pour s’abriter au mieux, il demeura aussi près que possible de Renaud acharné à
Weitere Kostenlose Bücher