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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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toujours été d’offenser Dieu. Il était revenu, lui, Ogier, à la simplicité filiale, au respect absolu. Ses yeux le brûlaient et sa vue se brouillait. Il eut un fugitif et pénible sourire :
    — Mon oncle et Blanquefort disaient que je vous ressemblais. Jugez-en !
    Une sorte de remords le poignait ainsi qu’un mécontentement envers lui-même. Dans sa naïveté, sa présomption peut-être, il avait pensé que ce grand guerrier provisoirement au récart [96] serait merveillé de le voir reparaître. Tout d’abord parce qu’il était son fils, ensuite parce qu’il avait l’apparence d’un gars hardi, fort aduré, vaillant homme aux armes ; enfin, parce que chevalier, il portait une de ces armures si rares encore au royaume de France. Eh bien, non : le seigneur de Gratot demeurait immobile, son attention fixée à hauteur du visage :
    — Il est vrai que tu me ressembles… quand j’avais trente ans de moins. Ces cinq ans t’ont bien profité… Tu ne peux m’en dire autant !
    Ogier réprouva cette amertume, bien qu’il en comprît la nature. Il venait de s’immobiliser devant son père ; il sentait sous les mailles de son gantelet une épaule pointue, osseuse, décharnée.
    — Ce m’est si grand bonheur de vous revoir enfin…
    Coupant net son élan, le flambeau s’éleva au-dessus de leurs têtes.
    — T’attendais-tu, mon fils, à revoir un vieillard ?
    Ébaubi par cette question où la dérision se mêlait à la moquerie, Ogier ne put lui opposer une réplique susceptible de le guérir du mésaise dont il souffrait. Malgré l’air engouffré sous les porches béants, la lueur frissonnante des flammes lui révélait un homme usé, tourmenté, accablé. Le dos fléchissait – et les genoux sans doute. Quant au visage !… Les cheveux blanchoyaient et s’étaient raréfiés. Dans la face hâve, débiffée, sous le front entaillé à l’Écluse, les yeux noirs brillaient de fièvre ou de peur. L’arête du nez semblait s’être aiguisée. La bouche large, cernée d’une barbe de quelques jours, frémissait. À la flétrissure publique injustement infligée à ce guerrier le 4 juillet 1340, s’ajoutait maintenant la flétrissure impitoyable de l’âge entachée, elle aussi, d’iniquité, puisque les années, pour cet homme, semblaient avoir triplé leur pouvoir corrosif. Il portait dans son regard l’infinie mélancolie des malades incurables ; la détresse de toute sa personne semblait celle d’un condamné au pilori à vie et qui, subissant chaque jour mépris, médisances, crachats et jets de pierre, eût préféré la mort à cette punition vulgaire, sans jamais oser se la donner, beaucoup moins dans l’espérance d’être un jour déclaré innocent que par crainte de manquer aux siens et de s’aliéner Dieu.
    — Réponds !… T’attendais-tu à revoir un vieillard ?
    Mentir. Il fallait tricher coûte que coûte :
    — Nullement un vieillard, Père, mais un homme éprouvé par un opprobre injuste.
    — La menterie n’est point dans ta nature. Or, tu mens mal !
    Les habits de cet être en perdition – houseaux de cuir boueux, troués sur chaque empeigne, hauts-de-chausses informes, pourpoint de futaine grise ni brossés ni raccommodés – avaient de quoi confondre.
    « Les servantes et ma sœur ne tirent-elles plus l’aiguille ? »
    Ogier songea tout aussitôt que les retrouvailles de cet homme et de son épouse, après l’Écluse, avaient dû être effrayantes. Non seulement il n’était plus rien, mais encore il revenait sans leur fils !… Allons, sa présence, ce soir, en dissolvant un cruel subterfuge ramènerait un peu de gaieté à Gratot. Et pourtant, il prit peur : sa mère, Luciane, avait-elle autant vieilli que cet homme ? Renaîtrait-elle plus promptement que son époux au bonheur et à l’espérance ?
    — Tu me regardes avidement, mon fils. Tu me vois plus proche du routier par le visage et la mise que des grands seigneurs de l’ost !
    À quoi bon ergoter. Ils abominaient la duplicité l’un et l’autre.
    — Je vous trouve changé, bien changé, Père. Prétendrais-je le contraire que vous me prendriez pour un hypocrite… Mais, devinant par ces sagettes, au dos de votre pont-levis, ce que vous avez dû subir, je comprends que vous soyez en cet état.
    Un sourire plissa les lèvres pâles :
    — Ta venue me réjouit, n’aie crainte… Je l’ai moult désirée. J’ai brisé mon ardeur – ou ce qu’il en restait –

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