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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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dans cette longue attente…
    Ogier sentit sa gorge se nouer : «  Même sa voix est différente. Elle fléchit comme lui ! » Il avait pensé qu’ils s’étreindraient pour une longue embrassade et qu’aussitôt après, tout en sanglotant, ils riraient, secoués par une joie immense et qui les guérirait des tourments de la séparation. Hélas ! Comme après la funeste épreuve de la Broye, et bien qu’elles leur fussent communes, l’adversité, la male chance et l’amertume les désunissaient plutôt que de les rapprocher. Godefroy d’Argouges paraissait engoncé dans sa honte, et il était toujours consterné, lui, le revenant, d’avoir assisté, impuissant et indigné, aux rites de sa déchéance. Il comprenait que le déshonneur et l’abjection, même immérités, avaient disjoint plutôt qu’affermi les liens de leur parenté. De plus, cinq ans d’absentement et surtout l’impossibilité de se voir vieillir l’un l’autre avaient fait d’eux des étrangers – ou presque. Ils se cherchaient. Où retrouver l’enfant, le jouvenceau chez ce prud’homme resplendissant ? Où retrouver le père, le bataillard, dans ce valétudinaire ? Et que dire ? À leurs affinités d’autrefois, Ogier se sentait incapable de substituer la moindre façon d’être. Rien n’était plus pareil, et leur malheur toujours présent se trouvait comme revigoré par cette incertitude accablante : sauraient-ils régénérer, avant que leur dignité fût reconnue et restaurée, la bonne entente de jadis ?
    Frappés comme d’un sortilège, ils demeuraient toujours face à face, dans la clarté du flambeau grésillant. Leur silence ne révélait nulle réciproque défiance ; il était composé d’émoi, d’attente et de gravité. Ils devaient réapprendre à vivre ensemble ; à se voir, tout simplement, sans que la vue de l’un fut dommageable à l’autre ; à ne pas limiter leur monde à cette oppressante géhenne, mais faire en sorte…
    — Tant de malheurs, mon gars… La diffame [97] c’est un venin dans le sang… Ça cuit et ronge.
    — Je sais, père… J’ai grandi et forci malgré cela !… Quant à vous, il vous faut reprendre espérance et vigueur !
    Ogier se tut, engourdi d’attendrissement et ne sachant comment vivifier cet homme dont la voix reprenait un peu de consistance… Toute référence à leurs souvenirs communs lui ferait sans doute plus de mal que de bien.
    — M’espériez-vous ?
    — Certes… sans trop y croire… Le dernier message que j’ai reçu de Guillaume annonçait ton retour pour Noël… Si bien que je n’ai envoyé aucun coulon [98] pour lui dire…
    Godefroy d’Argouges eut un geste las, signifiant que tout ceci pouvait attendre, et reprit tout à coup clairement, fermement :
    — J’ai cru longtemps que Dieu m’avait abandonné, or, il vient d’exaucer mon souhait le plus ardent : te voilà !… Je suis bien aise de te savoir en ces murs et d’y accueillir tes compagnons !
    Ogier se retourna et les vit devant les entrées, presque au coude à coude. Derrière, les chevaux sabotaient, sauf Facebelle et le mulet, immobiles, chacun le long d’un parapet.
    — Approchez, les amis, et pardonnez-moi de vous avoir oubliés !
    — On comprend fort bien, dit Raymond.
    Ogier le présenta, puis Bressolles, sans s’étonner de leur extrême gravité : ils n’ignoraient rien des malheurs de son père, ils avaient pensé assister à des retrouvailles joyeuses ; il en allait différemment. Leur déception semblait égaler la sienne.
    Godefroy d’Argouges s’inclina devant Adelis. Bien que Titus, toujours enchaperonné, n’en pût voir les flammes, elle éloigna le faucon du flambeau tandis qu’Ogier, prompt lui aussi, prévenait une question gênante :
    — Elle était chambrière de mes cousines… qui ne sont plus à Rechignac… Je vous raconterai…
    Ensuite, le vieillard s’arrêta devant Thierry. L’ancien fèvre sourit sans contrainte :
    — Content de vous connaître, messire baron !
    Depuis longtemps, Godefroy d’Argouges n’avait pas été titré ainsi. Une larme roula sur sa joue maigre, laissant le grand Champartel pantois. Mais l’écuyer se ressaisit promptement :
    — Nos bêtes ont faim et soif… et je crains qu’une feuquière [99] n’ait écorché notre mulet. Il ne faut plus tarder, messire Ogier.
    — Tu as raison. Allons, Marchegai, avance !… Approchez, compagnons !
    Ils entrèrent, suivis des chevaux, puis

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