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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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olifant. Avant même que le mugissement ait cessé, des aboiements plus plaintifs que féroces retentirent ; Saladin y répondit en jappant ; puis le silence revint, pesant, opaque, et l’anxiété d’Ogier s’aggrava :
    — Bon sang !… Vont-ils répondre ? Ils sont bien là, pourtant, puisqu’ils résistent !
    Une porte grinça ; il y eut des piétinements : on venait.
    — Pas le moindre regard du moins à ce qu’il semble, chuchota Champartel. Cela me paraît folie !
    — Tais-toi donc, Thierry. Tu sauras tout en même temps que moi.
    Amplifiée par la voûte de la porte piétonne, une voix résonna :
    — Qui va là ?
    C’était lui, et non pas un serviteur quelconque.
    Jamais Ogier n’aurait cru possible d’éprouver, dans son cœur gonflé de joie, une douleur aussi roide et vertigineuse.
    — Père, s’écria-t-il, c’est Ogier, votre gars !
    En même temps qu’il s’annonçait, il pensa que sa voix avait non seulement mué, mais encore qu’au contact des Périgourdins elle avait pris un accent étrange et, tout autant que lui, méconnaissable.
    — Ogier, ton fils !… Par Dieu qui nous voit de part et d’autre de ce pont hérissé de traits inquiétants, commande à ton portier de nous accorder le passage !
    Nulle réponse à cette injonction. Il imagina, de l’autre côté, un homme incrédule, confondu de stupeur ou redoutant quelque stratagème.
    — Que vous doutiez de mon retour, Père, ne m’ébahit ni ne me contrarie. Je ne sais comment vous convaincre… Je devais revenir parmi vous à la Noël, or, il s’est passé tant de choses chez mon oncle…
    Voilà qu’il s’irritait et se trouvait lamentable. Que pensaient ses amis de cette attente ? Ils auraient dû déjà pénétrer dans l’enceinte.
    — Qui ou quoi peut me prouver que c’est toi ?
    Peut-être, plus encore qu’une parenté restant effectivement à établir – mais comment en ces singulières circonstances ? – était-ce cette parité soudaine, abrupte, entre ce fils devenu adulte et lui, Godefroy d’Argouges, qui prolongeait indûment l’hésitation du maître de Gratot.
    — Père !… Si vous doutez à ce point, regardez-moi. N’y a-t-il plus ce trou dans le chêne, à hauteur de votre visage, et par lequel, lorsque j’étais enfant, vous pouviez, quand les fléaux étaient levés, observer les visiteurs avant que d’enjoindre au portier d’ouvrir ?… Ce portier se nommait Joubert… Voyez, je suis désheaumé… Mon oncle Guillaume de Rechignac prétend que je vous ressemble… Vous ai-je convaincu ?
    Silence. Une sorte de désespoir s’empara d’Ogier :
    — Père ! Je ne suis pas seul comme vous le pouvez voir. J’ai là mon écuyer, un homme d’armes et deux bons compagnons… Hâtez-vous ! Nous sommes las. Ce jour d’hui, nous avons chevauché pendant plus de dix lieues avec une courte halte à Hambye où frère Peynel m’a conjoui [95] .
    Il devinait derrière lui ses compagnons attentifs, consternés sûrement par cette attente incroyable.
    — Recule, dit la voix.
    Ogier obéit. Il entendit qu’on gravissait les degrés d’accès à la machinerie. Bientôt, le treuil cliqueta, les fléaux de bois s’inclinèrent ; par secousses, le tablier s’écarta de la muraille.
    Le cintre de la porte charretière apparut, puis celui de la porte piétonne. Au-delà des lueurs du flambeau brûlant à l’intérieur des entrées, Ogier distingua la cour ombreuse et à sa droite, blanchâtre, le pied biseauté de la tour en haut de laquelle, autrefois, se trouvait sa chambre. Il entrevit, accolé au mur d’enceinte, un pan du logement des serviteurs.
    Il avança, et tout le confondit : non seulement l’anormale vacuité de ces lieux où le chien n’aboyait plus, mais aussi les odeurs de limon dominant celles autrefois chaudes, puissantes, des écuries et des étables. Et maintenant qu’il franchissait la douve sur la plate-forme de chêne enfin rabattue, il pouvait, sourcils froncés, tenter de reconnaître ce solitaire à la torche fumeuse ; cette ombre à face blafarde, pétrifiée d’ébahissement.
    — Père !… Pourquoi reculez-vous ?
    Non, Godefroy d’Argouges ne reculait pas : il chancelait. Serrant son bassinet sous son aisselle et l’épée battant son flanc, Ogier tendit son bras senestre :
    — C’est bien moi, Père, n’ayez crainte !
    Phrase absurde, surtout ce n’ayez crainte adressé à cet homme dont l’unique inquiétude avait

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