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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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maisons…
    Ogier accepta cette possibilité bien qu’elle lui parût excessive. Il saurait. Il allait savoir. Les yeux picotants comme si des fumées s’en dégageaient encore, il regardait les murailles mortes dans les lézardes desquelles les serpents du lierre se contorsionnaient. Il regardait ces frênes adolescents hissant leurs candélabres le long d’une paroi éboulée. Il regardait ces arbrisseaux obscurs jaillis du cratère de la cave, insinuant leurs tentacules dans la cuisine ruinée, et ces ronces agriffées aux aspérités de la pierre, et ces tiges pareilles à des cordes, entourteillant un linteau, un chambranle, un reste de fenêtre, ou frayant leur voie au ras du sol. Certains surgeons, après avoir rampé parmi les gravois, s’étaient introduits dans le conduit de cheminée, serrés, mêlés. Devenant arbres, ils l’avaient fait éclater.
    — Un embrasement volontaire, murmura Bressolles. La grange et l’étable ont péri en même temps… Cette maison, au milieu, devait être accueillante.
    Au risque de tomber, Ogier recula, les yeux fixés sur l’énorme baldaquin végétal qui surplombait les ruines. Et devant ce foisonnement de rameaux et de feuilles dont les couleurs et les frissons oscillaient de l’ambre au vert le plus obscur, il se sentit rompu, lui aussi :
    — Toute cette pourriture d’herbes et d’arbrisseaux…
    — Ne leur en veuillez pas, messire, dit Bressolles, car plutôt que de détruire comme la pluie, le vent, les soubresauts de la terre, ils ont agi, consolidé à leur façon… Il ne faut pas demander aux plantes de vivre et penser comme nous !
    — Seul Blainville a pu perpétrer ce forfait !
    — Votre père a jugé inutile de remédier à ces dommages… Il va vous raconter…
    — Hâtons-nous !
    Sitôt parmi ses compagnons, Ogier tint Marchegai en bride. Il était anxieux, soudain, de découvrir le château à l’angle du chemin.
    Les toits des communs apparurent : deux longues ailes noires de part et d’autre du bâtiment d’entrée, et derrière, les quatre tours graciles. Plus loin, les plumails des arbres… Avancer… Tout était immobile et plein d’un grand silence. Le vent soufflait à peine ; l’air semblait épaissi par l’odeur des herbes drues et de l’eau limoneuse. Ici, les légers grincements de l’armure prenaient une importance agaçante.
    « Dès demain, il faudra que Thierry la fourbisse : elle a trop subi la pluie… Qu’elle ne rouille pas. »
    Ogier ignorait comment vaincre son trouble. La nature si familière dans laquelle, maintenant, il se mouvait, paraissait rébarbative à mesure de son approche. Il ne pouvait comprendre ce qu’il éprouvait : cette certitude d’être épié du dehors et non du dedans de Gratot ; cette satisfaction nullement enjouée, mais grave, angoissée, de toucher enfin longuement du regard le logis de sa naissance. Et rien, pas même le joyeux : « Nous y sommes ! » de son écuyer ne pouvait diminuer cette sensation décourageante d’être affligé bientôt par ce qu’il trouverait à l’intérieur de l’enceinte. Il aurait dû ne jeter qu’un coup d’œil à la ferme en ruine et lancer Marchegai jusqu’au pont-levis. Non. C’était cette désolation qui sans doute avait freiné son élan… Et puis, peut-être subissait-il l’ascendant de ces grands hêtres frémissants, témoins impassibles, depuis près d’un siècle [90] des faits et gestes des Argouges dont il recouvrait l’ombre et la majesté…
    Sans mot dire, il parvint devant la chaussée. Longue d’une douzaine de toises [91] , large de deux et bordée d’un muret, elle s’achevait à quatre enjambées du pont-levis, relevé sur les entrées.
    — Allons, les amis… Voici nos derniers efforts !
    Reniflant la pierre et les herbes, Saladin les précéda.
    Un aboiement retentit derrière les murailles, troublant un moment le silence extrême. Le chien jaune s’arrêta pour humer la senteur de feuilles et d’étang avant de reprendre prudemment son avance. De part et d’autre des parapets, l’eau dormait, fumant un peu ; un canard la rida promptement de ses palmes, puis disparut sous les joncs de la berge.
    — Nul guetteur, dit Raymond, tout en haut de ces tours.
    — Qui sait ?… Quand je suis parti avec mon père pour cette funeste bataille, il y avait ici dix hommes d’armes et quatre bons sergents… Ils doivent souper en ce moment… Croyez-moi : quand ce pont-là est relevé, les

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