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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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surtout ceux des femmes, exprimaient au-delà d’un épuisement avéré, une charnelle, une furieuse ardeur de vivre.
    — Tenez bon ! Croyez-en la divine providence… Dieu nous inflige des épreuves qui souvent, tant elles paraissent au-dessus de nos forces et de notre volonté, sont bien près de nous ôter toute confiance en Lui… Un jour viendra où nous triompherons de l’adversité !
    Ogier s’estima beaucoup trop solennel. Et dérisoire. Il se sentait toujours quelque peu étranger en ces lieux sur lesquels la nuit paraissait se crisper, froide et dure. Il percevait aussi, tout autour de cette poignée de fïdèles souffrant plus encore de leur réclusion que de la faim, l’insidieuse et patiente corrosion du malheur. L’idée du renoncement et de la dispersion les effleurait sûrement certains jours comme des souffles de vent frais lorsqu’on étouffe ; or, ils demeuraient à Gratot, sachant bien qu’une fois ses racines rompues, l’arbre crève. Quant à mourir, ne valait-il pas mieux que ce fût sur place, dignement ? Ils échangeaient avec Thierry, Raymond, Bressolles, des propos graves, jusqu’à ce que surgît çà et là quelque silence abrupt, imprévisible. Alors, chacun se repliait sur soi-même, évaluant ses chances de bonheur et celles de ses commensaux, y compris ces Argouges réduits, eux aussi, aux dernières espérances.
    Isaure s’en était allée aux cuisines. Elle en revint portant fièrement un grand plat d’étain :
    — Deux connils [122]  !… Vous êtes les bienvenus ce jour d’hui.
    — On les a pris avant-hier, dit Gosselin, à l’orée du bois de la Vendelée.
    Aude fut servie la première : une cuisse qu’elle se mit à mâcher lentement, guettant du coin de l’œil Péronne qui, le museau tendu, s’approchait.
    « Va-t-elle partager, ne serait-ce qu’un peu ? »
    Ogier ne pouvait quitter sa sœur du regard. Quelles pensées agitaient ce front pur, ces paupières cillantes ? Il devrait la rassurer, la réhabituer à sourire… Ah ! si, enfin, Péronne recevait satisfaction : point d’os, évidemment, mais une bouchée de viande et de pain.
    Ogier fut tenté d’appeler la chienne, mais c’eût été déplaire à Saladin.
    — Père, dit-il, nous avons des vitailles et du vin. Nous les prendrons demain… Je n’en crois pas mes yeux quand je vois votre table naguère si abondante en mets et boissons !… Blainville, toujours et toujours… Il ne s’est jamais passé un jour, en cinq ans, sans que je ne pense à le châtier… Blanquefort, surtout lui, m’a préparé à cette vengeance aussi durement que possible. Blainville ne m’effraie nullement !
    Il s’abstint de poursuivre. Abattre cet abject, il s’en savait capable, mais que de conditions ! Il fallait, au préalable, l’immobiliser devant le roi, en un lieu d’où toute retraite et tout secours seraient impossibles, et le dénoncer comme étant un allié d’Édouard d’Angleterre. Or, de quelles preuves tangibles disposait-il ? D’aucune. Il avoua :
    — Il sera malaisé de confondre ce renié [123] . Ceux qui vous ont soutenu et pourraient témoigner qu’il nous fit perdre la bataille de l’Écluse sont morts en des circonstances singulières. Lancelot de Longval a eu la nuque brisée dans une forêt où il chevauchait seul ; Raoul de Longpré a été trouvé pendu à une poutre de son écurie ; Gauthier d’Évrecy, lui, fut empoisonné ; Ernauton de Penne a été atteint d’une sagette au cœur sur le chemin de Malestroit au début de la guerre de Bretagne. Le saviez-vous ?
    — Oui et non. La mort de tels preux dont trois étaient Normands ne pouvait demeurer méconnue, même de moi qui suis parfois informé par Gerbold. Mais j’ignorais comment ils avaient péri.
    Ogier soupira : il se sentait comme écartelé entre le passé, le présent et l’avenir. Ici, tout différait de Rechignac : l’animation, les voix, la grand-salle ténébreuse… et cette nourriture morne, elle aussi : ce pain plâtreux auquel il ne touchait plus, cette eau vaguement salée ; ce connil mal rôti dont Bertine avait fait glisser le râble dans son écuelle, et qu’au risque de mécontenter ses voisins, il partageait maintenant avec Saladin et Péronne.
    Il fut heureux de voir Aude s’entretenir encore avec Thierry. Bien que de naissance rustique, l’écuyer avait quelque beauté, des qualités de dévouement et de vaillance. Aude – sensation nouvelle – se sentait

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