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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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quoi barrer, s’il n’y prenait garde, les rayons inférieurs d’Alcazar qui piétait allègrement et parfois ébauchait un galop.
    Naudon de Bagerant s’approcha :
    – Tu t’en es remis, Sang-Bouillant ?
    – Par Dieu, tu as une mine d’inquisiteur. De quoi me suis-je remis ?
    – De tous ces morts… De ton nez qui se désenfle.
    Le routier montait un cheval noir entretenu avec autant de soin, sans doute, que ses concubines et son abbesse.
    – Te voilà comme on dit, le successeur d’Argouges per obitum… Par la mort… Une bonne chance que tu aies épousé sa fille peu avant de partir pour l’Espagne.
    Un rire – évidemment. À quoi bon s’indigner. Bagerant portait la tête haute avec toujours, au coin des lèvres, ce pli qui pouvait passer pour un sourire et qui n’était qu’un perpétuel défi à l’honnêteté. Le buste incliné en arrière, la dextre nue coiffant le pommeau de selle, l’épée tintante, il n’avait pas chaussé les étriers, souffrant peut-être des genoux après tant de lieues parcourues.
    – Non, je ne me suis pas remis de tous ces trépas. Je ne m’en remettrai jamais, insista Tristan. J’en porterai toujours le deuil.
    Les crimes de Briviesca, la mort d’Ogier d’Argouges et le meurtre de Lionel, c’était trop pour une seule journée – ou presque. Mais Bagerant n’était pas de son espèce : il ne connaissait ni le remords ni la pitié.
    – Tu oublieras tout à Burgos. L’allégresse, Sang-Bouillant ! La liesse ! On mangera à s’en faire craquer la ceinture et les femmes y sont belles, m’a-t-on dit.
    Devant eux, cavaliers et piétons allaient à l’aventure, mais c’était pour Tristan un torrent de fer, d’acier, de chair humaine et animale qui dévalait devant ses yeux.
    – Les garçons de ce Lionel semblent de bonnes gens. En fait, il les a dévoyés…
    – Avec toi, je doute qu’ils deviennent des saints !
    Cette fois, Bagerant ricana. Sa bonne humeur parut même se dilater. Si le malandrin détestait recevoir des piques, il lui plaisait d’en provoquer pour juger du courage de ceux qu’il titillait. Tristan se demanda quels eussent été le visage et l’attitude de son beau-père maintenant, dans la traversée d’une contrée qu’il voyait à peine puisque sa vue était bouchée, devant, par l’immense fleuve des Compagnies et qu’il n’osait regarder ni Bagerant ni Paindorge différemment attentifs à son affliction.
    – Sais-tu, Sang-Bouillant ? Enrique a dépêché des chevaucheurs à Burgos. Ils doivent aviser les manants qu’il va s’y faire couronner, prêter les serments sacramentels et recevoir certains de ses sujets selon les usages. Il a enjoint aux Burgosiens de s’apprêter pour cette cérémonie et fait publier qu’il espérait de leur affection qu’ils ne négligeraient rien pour la rendre auguste et qu’on ne manque de rien de ce qui convient à un si grand jour… Je vois d’ici les bourgeois assemblés sous la houlette de leur évêque… lequel leur dit qu’Enrique est un présent de la miséricorde divine, que ses qualités vont essuyer les larmes et le sang que Pèdre a répandus à grand’foison…
    – Et lui donc ! s’écria Paindorge indigné.
    – … que ce sacre est un miracle de la Providence… qu’il convient non seulement de s’y soumettre mais encore de l’ovationner, lui, Enrique, puisque cette Providence a mis dans ses mains des forces suffisantes et le concours de Guesclin pour imposer, après la peur, le respect… et que toute désobéissance recevra un châtiment immédiat.
    – Entre Enrique et Pèdre, demanda Tristan avec une volontaire malice, quelle différence ?
    Un grand rire de Serrano souligna la sagesse de la question.
    – La seule différence, messires, révéla le trouvère, c’est celle-ci : les genoux de Pèdre grincent si fort qu’on les entend à dix pas ; ceux de Enrique sont silencieux comme les nôtres (563) .
    – Heureusement, dit Bagerant, que son vit ne fait aucun bruit quand il pisse ou chevauche une femme ! Sans quoi, la Castille n’aurait point besoin de ménestrandie (564) .
    Et talonnant son noir coursier, le routier galopa vers l’avant, vers les prud’hommes et les ricos hombres qui l’acceptaient volontiers parmi eux.
    On fit halte à none (565) dans un champ, le temps de se délasser, de prélever de quoi se sustenter sur des provisions qui commençaient à fondre et de tourner la cannelle des tonneaux juchés sur des

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