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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sur le côté.
    Il serrait toujours son poignard. D’un bond et de son pied, Tristan récidiva. Cette fois il écrasa les lèvres, les dents, le nez.
    Ils étaient fous l’un et l’autre. Le jeune, fou de revanche et l’autre de vengeance, mais Lionel ne pouvait se relever : chaque fois qu’il s’y essayait, le pied de Tristan labourait son visage. Il haletait, grondait comme une bête noire. Il entendit «  Ça suffit ! » C’était Bagerant. Un autre : c’était Paindorge. D’un ultime coup, il atteignit le crâne et s’aperçut alors que Lionel ne bougeait plus.
    – Il est mat, dit Bagerant.
    Tristan chancelait. Il ne contrôlait ni ses membres ni ses idées. Il entendit encore : «  Il est mat  », puis les propositions que Bagerant faisait aux compagnons du défunt de le rejoindre dans sa route.
    Il ne savait plus que faire, sevré de violence et de rage. Il ne s’était servi qu’une fois du poignard que Paindorge retirait malaisément de sa dextre crispée par une crampe.
    Alors subitement, il se mit à pleurer. Pleurer encore. Sur le trépas de son beau-père, sur sa propre forcennerie. Sur tout. Il se sentait contaminé. Toute la mauvaiseté qui cimentait les hommes des Compagnies confluait vers lui seul. Il vit ses heuses éclaboussées de rouge : l’herbe tachée, elle aussi.
    « Seigneur, pardonnez-moi, mais je devais le faire ! »
    Il se croyait stupide. Suffoqué. Il s’efforçait de penser. Mais à quoi ? On le regardait. Guesclin riait sans toutefois l’approcher – comme s’il était devenu redoutable. Haïssable. Il lui semblait que son courage, émietté lors du combat, ne se reconstituait point. Cœur en loques. Il eût voulu repartir pour la France. Impossible.
Venez, dit Paindorge. Ses compains se chargeront de lui.
    Il suivit. Il secouait parfois la tête pour en chasser la sueur. Il se sentait des bras de plomb et des mains mortes, incapables de monter à ses yeux, jusqu’à son front. Incapables, aussi, de se rejoindre.
Holà ! dit Bagerant dans son dos, tu pourrais me regracier.
    Il s’acquitterait plus tard de ce remerciement, qui déjà lui coutait. Le malheur le tenaillait, lié à la certitude insupportable qu’il n’avait pas encore atteint le fond de la férocité humaine.

 
     
     
     
     
     
     
     
     
     
QUATRIÈME PARTIE
     
     
LA HALTE DE BURGOS

I
     
     
     
    Après qu’ils eurent enfoui Ogier d’Argouges dans la terre caillouteuse du cimetière et jeté son bâtard dans la fosse commune, auprès des martyrs de la veille, Tristan et ses compagnons s’apprêtèrent à réintégrer l’immense meute.
    – Ça ira, messire ? s’inquiéta Paindorge quand tous ceux de Gratot furent en selle.
    – Il le faut… Avez-vous vu ? Aucun des compères de Lionel n’a voulu s’occuper de son corps.
    – Quelque sort qui nous soit échu, dit l’écuyer, c’est toujours par la volonté de Dieu. Nous avons bien fait de l’ensépulturer où il est… à trente pas de son père.
    Tandis qu’il raccourcissait les rênes d’Alcazar, Tristan sentit de nouveau dans ses bras et ses reins la pernicieuse lassitude engendrée par un deuil imprévu. Surmonterait-il cette affliction ? Son cerveau lui semblait tout imbibé de larmes.
    – S’il était mort lors d’une bataille, j’aurais été moins doulousé. Je me serais dit…
    – Les mêmes choses que maintenant, dit Jean Lemosquet occupé à bâter Carbonelle. Paindorge a raison : Dieu a voulu qu’il en soit ainsi.
    Un regret soudain, mineur sans doute, mordit le cœur de Tristan. Celui de s’être disputé une fois avec Ogier d’Argouges. À cause de Luciane. Certes, ils s’étaient réconciliés. Leurs rapports étaient devenus ceux d’un père et d’un fils plutôt que ceux d’un beau-père et d’un gendre.
    –  C’était à sa façon un exemple…
    Quand ses restes avaient été déposés dans ce cimetière qui puait le sang, le vomi, les entrailles, la cendre, il était allé chercher sur un tas d’immondices une croix de fer rouillée. Il l’avait enfoncée dans le sol sans cesser de prier en lui-même tandis qu’un moine de Briviesca bénissait les défunts de la fosse commune. Jamais il ne s’était senti l’âme aussi lugubre. La tentative, à vrai dire désespérée, de son beau-père pour dégager un vieux rabbi des griffes d’une poignée de démons le merveillait sans que pourtant il y eût assisté. Elle ressortissait au meilleur des actes de courage

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