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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Oriabel…
    Tristan refoula dans les ténèbres des souvenances le visage, la voix, les rires de la jouvencelle.
    – Nous acceptons vos conditions, messire Pastor…
    Il se détourna, espérant découvrir, sur le visage de Teresa, l’expression de soulagement qu’il lisait sur celui de son aïeul ; or, elle entrait dans la demeure étroite et haute dont le toit crénelé n’était point sans suggérer un donjon.
    Le soir, à la lueur des chandelles et tandis que Simon ensommeillé venait de quitter la table, Tristan vida son gobelet de vin en souhaitant que ses compagnons eussent pu en apprécier le goût et la quantité.
    – C’est un vin de Valdepenas, dit Joachim Pastor. Naguère, on pouvait aller s’en procurer sans crainte d’être assailli en chemin. Désormais, nous vidons les barils qui nous restent en espérant le retour des jours de paix et d’amitié.
    Tristan s’inclina : ce mot d’amitié lui était destiné.
    – En France, dit-il, on fait passer l’Espagne pour un pays qui n’est heureux que dans le sang, les larmes, la fièvre, la frainte. Un clerc de retour parmi nous, et qui vécut chez-vous quelques années, nous a dit du bien de vous.
    – De nous les Juifs ? demanda le vieillard.
    – Oui, messire.
    Le regard de Teresa s’alluma :
    – On nous a dit à nous – des marchands de passage – que les Juifs étaient opprimés en France. Est-ce vrai ?
    Elle n’avait point cherché à savoir s’il était marié, où il vivait, ce qu’il espérait de la vie. Il semblait, maintenant, qu’elle eût peur d’une réponse affirmative. Tristan choisit aussi d’être franc, sans ambages :
    – Mal heureux, dit-il, eh bien oui, je l’avoue… En Langue d’Oc, à Béziers, le peuple s’est arrogé depuis longtemps le droit de lapider vos maisons lors de la semaine sainte. Je sais aussi qu’à Montlhéry, proche de Paris, chaque Juif qui passe près du château doit payer une obole et quatre deniers de redevance s’il porte un livre hébraïque. Deux oboles supplémentaires s’il a dans on bissac une sorte de chandelier…
    – Une ménorah, dit le drapier.
    – Mais, sur les terres papales – en Avignon -, les juifs ont des bayles ou consuls de leur nation. Certains cultivent la vigne. On leur a imputé des meurtres d’enfants chrétiens sur leurs autels, pendant la semaine sainte, en haine du Christ, mais c’est d’une telle outrance que les gens de bon sens n’y croient pas.
    – Nous ne sommes pas des barbares, dit Teresa.
    Elle était la négation vivante, magnifique, de tout ce q ue Tristan avait appris sur les Juives : qu’elles étaient sales, grosses, immondes et sans intelligence. Qu’allait-elle devenir si, comme en Avignon, Guesclin revenait à Burgos quelques jours après le sacre du Trastamare, et peut-être avec l’assentiment de celui-ci, pour rançonner les édiles, le clergé, et traiter les Juifs à sa façon ?
    Joachim Pastor eut pour sa descendante un regard bref, attendri, puis tourné vers son hôte :
    – Don Pèdre n’a jamais été violent avec la plupart d’entre nous. Parce qu’il y trouvait son compte. Nous venons d’acquitter à l’avance une contribution énorme pour conserver, sous le règne de don Enrique, nos demeures et nos biens. J’espère que, sans nous respecter pour autant, il n’exercera pas contre nous des punitions sanglantes sous le fallacieux prétexte que nous nous sommes montrés avares. Être ménager de ses biens n’est point avarice, mais tout bonnement sagesse.
    Tristan acquiesça.
    – Je me merveille, dit-il, que l’Espagne ait pu vivre en paix alors qu’elle se composait et se compose encore l’Espagnols, de Juifs et de Mores. On affirme, dans non pays, que les Mahomets ont contribué à l’essor…
    Il ne put achever de livrer sa pensée. Le vieillard avait ri et riait encore, point mauvaisement d’ailleurs, mais avec une sorte de commisération.
    – L’essor de quoi, messire ? Ne croyez pas, je vous prie, à une prétendue civilisation arabe que les Espagnols catholiques auraient eu le mérite d’assimiler peu à peu. Je ne sais d’où vient, chez-vous, cette croyance. Je n’y puis trouver qu’une invention de vos clercs pour vilipender ce pays qui est aussi le nôtre puisque nous y vivons en souffrant parfois d’être ce que nous sommes ; ce pays représenté comme dénaturé, ténébreux, après les siècles de lumière et d’omnipotence islamique !… Croyez-moi, et que

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