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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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table dans la cour. Août, en son commencement, bariolait le ciel d’ocre et d’or rouge. La paix du soir avait une odeur d’herbe sèche et l’on voyait parfois, sautillant et blafard, le vol d’une chauve-souris devant une fenêtre éclairée.
    – Ce que propose Guillemette est sensé…
    Ogier d’Argouges se leva et se mit à contourner la table, passant dans le dos des convives sans marquer le moindre arrêt, sauf lorsqu’il fut auprès de dame Adèle, – comme s’il voulait la réchauffer de son ombre.
    – Les loudiers refusent de vendre leur bétail, et les foires ont cessé d’être ce qu’elles étaient. Et pour cause : les chemins qui y conduisent sont dangereux : les Navarrais et les Goddons y préparent leurs embûches.
    –  Et celle de Saint-Lô ? suggéra Guillemette.
    – Non. J’ai rencontré Herpin d’Erquery à Coutances. Il y venait saluer son frère (495) . Il est, Thierry le sait, capitaine de Saint-Lô. Eh bien, il avait autour de lui trente hommes d’armes.
    – Renoncez, dit la servante.
    – Non… Mais au lieu d’aller vers le Levant ou le Nord, nous irons au sud. Pour deux raisons : il y a une foire à Percy.
    – Où c’est ? demanda Paindorge.
    – Près de Hambye. La foire de la Saint-Barthélemy a lieu tous les 24 août. Or, nous sommes le dimanche 17. Nous partirons samedi à l’aube. Je profiterai de notre passage à Percy pour voir un fèvre qui forge à ce qu’on dit, les meilleurs socs et coutres de Normandie.
    –  Qui emmènerez-vous ? demanda Tristan.
    Il avait, sous la table, la main de Luciane dans la sienne. Elle le serrait très fort comme pour le retenir.
    – Je vais y penser, dit Ogier d’Argouges. Mais un fait est certain : il nous faut être nombreux et armés.
    *
    Ils partirent avant le lever du soleil. La brume dans les champs éployait ses bannières et, lorsqu’ils y parvinrent, Coutances dormait encore hormis trois archers du guet qui leur sou haitèrent le bonjour après avoir reconnu Thierry et son beau-frère.
    Ils allaient deux par deux : Champartel sur Taillefer, Argouges sur Malaquin. Derrière, Tristan chevauchait Alcazar et Luciane, Marchegai. Paindorge, sur Tachebrun et Quesnel sur un genet navarrais assuraient l’arrière-garde. Une laisse de cuir tressé reliait le cheval de l’archer à Carbonelle. La mule trottait d’autant plus allègrement qu’elle ne portait rien d’autre sur son bât que des bissacs de nourriture et une toile de tente, la colombe 158 désassemblée de celle-ci, et les paissons 159 d’usage. Percy étant une bourgade sans hôtellerie, on coucherait, en se relayant, sous ce pavillon juste bon à contenir deux personnes à la fois.
    Afin d’éviter les embûches, ils cheminèrent dans des sentes connues d’Ogier d’Argouges. Il n’avait pas desserré les dents depuis Gratot. La présence de sa fille lui déplaisait, bien que pour échapper à la curiosité elle se fût vêtue en homme.
    Par-dessus la calette 160 empruntée à Paindorge, elle était coiffée d’un camail que Tiercelet avait maillé lors des soirées d’hiver. Un hoqueton prélevé dans les habits de guerre des Navarrais de Ganne la protégeait du cou jusqu’aux genoux. Une cotte de lin mi-partie de gueules et de sable et privée de son écu complétait cet ensemble dont Tristan se montrait plus fier que son beau-père. Et l’épée de passot qui touchotait sa cuisse accentuait la méprise.
    – Il me semble à présent que j’ai deux écuyers.
    – Tu me l’as déjà dit… Mais je savoure ce cumplimiento , comme dirait notre chapelain.
    Isambert s’était mis en tête de lui enseigner l’espagnol. Le presbytérien tenait à ce qu’elle sût cette langue dont il admirait l’énergie, la grâce particulière, et qu’il comparait à un chant. Tristan trouvait cette façon de parler rugueuse et déclamatoire tout en se disant que son épouse, tout de même, savait occuper son temps mieux que ses compagnes.
    – Je n’ai jamais deviné que Tiercelet te destinait ce camail.
    – Il m’aime bien.
    – C’est une coiffe d’homme… De guerrier.
    – Elle me sied. Quand je l’ai vu la commencer, je la lui ai demandée. Il m’en a fait présent.
    « Tancrède », songea Tristan. Luciane tenait-elle de cette cousine dont Ogier d’Argouges ne pouvait parler sans une espèce d’émoi ou de vénération – avec l’assentiment de Thierry, qui l’avait connue, et la rancœur, légère, de dame Adèle ?

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