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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Quant à Tiercelet, il avait aimé Oriabel avec une religion et un respect sans faille. Se pouvait-il qu’il aimât pareillement Luciane ?
    – Un pays sans embûche, dit Paindorge.
    La contrée semblait triste, pourtant, et muette sous ses grands arbres immobiles. On y était à l’abri des vents de mer et peut-être aussi des routiers.
    Le clocher de Percy apparut, puis des toits d’ardoise et de chaume. Un chemin creux, poudreux, menait à la cité. À l’avant de toutes les autres, une maison trapue était une taverne. Le tenancier accepta les chevaux dans sa cour. Quesnel, méfiant, décida d’en assurer la garde. Il y avait du bacon, du pain et du cidre. On décida de ne point puiser dans les bissacs. La table que le maître des lieux nettoya d’un coup de touaille fut bientôt garnie et l’on mangea tandis que l’hôte demandait :
    – D’où venez-vous ?
    – D’au-delà de Coutances.
    – Pour la foire ?… J’aime mieux vous dire qu’il n’y aura presque personne. Plus le temps passe, plus les gens ont peur et moins ils sont enclins à vendre : la crainte d’une proche famine en est cause. Et puis…
    – Et puis ? demanda Tristan.
    Le tavernier gros et court sur pattes pointa son index pareil à un boudin blanc en direction d’une fenêtre :
    – Guesclin règne sur ce pays. Il prend ce qui lui plaît et paye à sa façon, et il ne fait pas bon protester quand il robe ce qu’il convoite !
    – J’avais oublié, dit Ogier d’Argouges, que le roi lui avait fait don de la Roche-Tesson (496) .
    –  C’est tout près d’où nous sommes, dit le tavernier en allant emplir une chopine à un tonneau presque aussi ventru que lui-même… On dit qu’il y est avec son épouse… Depuis hier, là-bas, on se remue. Michel Ledentu, notre fèvre, est allé hier lui livrer un heaume de joute qu’il lui avait demandé. Il m’a dit : «  Guesclin va recevoir quelqu’un. » Lorsqu’il attendait que le chevalier paraisse, il a vu arriver un chevaucheur, et sa cotardie était aux armes de France.
    –  Cet homme, dit Tristan, jouit d’une toute puissance imméritée sur tous les grands du royaume.
    – Il règne sur le roi, dit Paindorge en levant son gobelet comme s’il allait boire à la santé de Charles V.
    – Hélas ! dit Ogier d’Argouges. C’est la fascination du fort sur le faible, la suprématie du forcené sur le scrupuleux, la primauté du culvert 161 sur le savant, du guerrier hardi sur le couard… Que sais-je encore !… Mais à quoi bon, amis, nous répandre en propos malveillants ? Nous ne sommes pas venus pour cela !
    Et, tourné vers le tavernier attentif et morose :
    – Où est-ce Ledentu qui forge de belles choses ?
    – La dernière maison du hameau, messire. Elle est enclose d’un muret…
    *
    Pour Tristan, cet atelier ressemblait à celui de maître Goussot, à Paris, excepté que par la porte et les baies ouvertes, on entrevoyait le ciel, des prés et des bouquets d’arbres au lieu d’une rue passante, bruyante, fréquentée par le commun. Sur les murs de pierre brute, noircis par les fumées, brillaient quelques plastrons et, surtout, des fers d’instruments aratoires : socs, bêches, fourches et houettes. Le soufflet expirait son haleine bruyante sur les braises du fourneau dans lequel rutilait un fer long et plat qui pourrait devenir une épée après qu’une fois refroidi, le forgeron l’eut écroui 162 .
    –  Eh oui, c’est une épée, messire. Je me sens moins un fèvre qu’un taillandier, dit maître Ledentu en retirant soudain le fer du foyer pour l’exposer sur son enclume.
    Et tandis que des battitures giclaient, rouges et dorées, sous le talon de son marteau :
    – Je fais ce qu’on me commande, mais j’aimerais devenir armurier… Il paraît qu’il faut que je persévère. Fit fabricando faber, m’a dit un moine, il y a peu… C’est en forgeant qu’on devient forgeron… Je continue : pour le plaisir les armes et par nécessité les outils.
    Il était grand, brun, la tête envahie de cheveux et de poils, les yeux noirs, les pommettes saillantes. Il semblait, à l’égard de ses émotions, d’une extrême susceptibilité : c’était certainement pourquoi il s’acharnait à frapper le métal encore rouge qui, devenu épée, rougirait d’une autre façon. Derrière la besogne aride et perçue comme telle, le bonheur de créer se révélait. Il semblait que l’esprit de ce fèvre entrait en communication

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