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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tantôt son profil au front haut et têtu. Elle offrait son visage au soleil avec la grâce d’une vierge imaginant un premier baiser avant d’offrir sa bouche à ce mari dont le regard interrogeait le sien sans formuler la question que peut-être elle espérait.
    « Mais de quoi veut-elle que je lui parle ? »
    L’hiver s’en était allé entraînant dans ses plis les menaces de guerre. Tout était paisible à Gratot. Mars chantait avec les oiseaux, fleurissait sur les talus et dans les prés. Les bourgeons vernissés s’apprêtaient à éclore. Sur le champ proche de l’église, les mouettes éparpillées semblaient des pétales de lis.
    – As-tu vu le ventre de Guillemette ?
    – As-tu vu, Tristan, celui d’Ermeline ?
    – Oui… Maintenant que le froid s’est dissipé, les robes que vous portez, dames, sont plus légères. On y voit mieux, s’y j’ose dire.
    –  Qu’en penses-tu ?
    – Que Tiercelet va être contraint de moins warrouiller 154 comme dit ton père et, que Thierry, bientôt, épousera ton amie.
    L’étroite intimité de Luciane et d’Ermeline réjouissait Tristan. Elle lui permettait, avec ses compères, quelques évasions dans les landes et les graves 155 à l’entour de Gratot. Ermeline était de ces femmes qui, vivant à fleur de tête, voire à fleur de peau, avaient besoin de se raconter. Sitôt seule avec Luciane, elle la faisait confidente de toutes ses pensées, ne lui laissant rien ignorer des faveurs dont elle était l’objet, lesquelles avaient abouti au gonflement de ce ventre dont la dame n’avait point vergogne.
    – Et moi ?… Suis-je bréhaigne ?
    Tristan approcha son visage de celui de son épouse jusqu’à toucher son nez du sien. Stérile, elle ? Il n’y avait jamais songé.
    – Laisse faire le temps… Je t’imagine mal avec un ventre de vauplate 156 .
    – N’aimerais-tu pas avoir un enfant ?
    C’était la première fois qu’ils se posaient ces questions.
    – Si… Je n’y suis pour rien, ni toi : Dieu nous voit ; il décidera.
    Il s’étonna lui-même de la véhémence et du ton pointu de sa réplique.
    Le cor sonna. Ils revinrent sur leurs pas, main dans la main, comme accrochés l’un à l’autre, mais cette fois le cœur serré d’une secrète amertume. Et leurs doigts incrustés comme à l’accoutumée leur semblaient étrangers, glacés plutôt que frais.
    – Si Dieu s’occupe ailleurs, laissons faire la nature.
    –  Et l’amour, ajouta Luciane. Serre-moi contre toi.
    Tristan obéit. Chaque fois qu’elle était ainsi, appuyée sur son flanc, il s’enivrait de l’odeur de violette et de miel qui s’exhalait de sa chevelure. Il y posait ses lèvres et c’était comme un chaste baiser qu’il recueillait ainsi et dont il savourait, sans qu’elle s’en doutât, l’ambroisie.
    – Oui, l’amour, dit-il.
    Qu’elle fût ou non bréhaigne était pour lui sans importance. Mais elle voulait un enfant, et son père souhaitait qu’elle en eût un. Il fallait perpétuer la lignée des Argouges.
    « Il n’a qu’à en faire un, d’enfant, à dame Adèle. Par amour ou par sécurité ! »
    Pensant cela, Tristan prit son épouse par la taille. Leurs pas unis résonnèrent sur le plancher du pont-levis. À peine l’eurent-ils franchi que quelqu’un le releva. C’était Tiercelet.
    – Eh bien, dit-il, eh bien…
    Ils lui sourirent et passèrent. Était-il, lui, amoureux ? À sa façon. Guillemette avait eu tôt fait de suppléer Raymond.
    « Et moi ? » se demanda Tristan, « suis-je oublieux ? »
    Oh ! Non. Oriabel vivait en lui. Il n’avait oublié ni son visage ni sa voix ni son corps et la façon dont il en avait profité. Ni ses soupirs et ses postures… Rien !… Il la conservait dans son esprit et son cœur comme il eût conservé dans un écrin une perle sublime aux brillances fanées. Leurs ardeurs avaient été stériles. Parce que d’une brièveté imprévisible dont maintenant, parfois, il mesurait l’iniquité. Mais il n’était plus temps de vociférer sourdement contre la male chance. Il était marié pour de bon.
    Il aperçut Isambert qui d’un pas mou mais ample sous sa bure piétait vers le logis dont la porte entrouverte exhalait une odeur de viande rôtie. Puis Ermeline, assise sur un des montoirs ; elle offrait son enfant aux tièdes hommages du soleil. Elle se leva et s’approcha.
    –  Est-ce vrai, Tristan ? Thierry m’a dit que vous allez tous deux quérir je ne sais

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