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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Cinquième passeront les montagnes pour se répandre en Espagne et que ces armées seront composées des routiers qui infestent le royaume.
    – Non ! dit Adèle. Non !
    – La guerre est achevée, renchérit Béatrix. Elle ne peut recommencer en Espagne !
    – Nous sommes si loin de l’Espagne, dit Ermeline, qu’il serait malséant de nous inquiéter.
    – Moi, dit Tiercelet, je m’inquiète. Ce Pèdre est un malade. Le roi Charles est un malade d’une autre espèce. Le Pèdre, c’est l’esprit ; notre Charles, le corps. Il faut tout redouter d’un avertin 152 et d’un homme qui se chème 153 .
    – Mais l’Espagne, c’est loin, insista Ermeline. Outre qu’on n’y a pas besoin de vous, le service de l’ost ne dure que quarante jours. Le temps d’y aller vous en prendrait déjà vingt-cinq… Restent quinze…
    – Trente jours, dit Paindorge, lugubre, c’est suffisant, moult suffisant pour se faire occire !
    Tristan approuva secrètement son écuyer. Puis il observa Isambert. Le moine se chauffait les mains et les pieds aux braises que venait de tisonner Guillemette. Il était content de lui.
    – Demain, dit-il, venez tous à l’église. Nous y prierons pour la paix.
    – Mourir pour des querelles espagnoles, grommela Tiercelet, c’est un peu comme s’il fallait mourir pour la Pologne, la Prusse ou la Turquie. Ah ! Que j’aime à me savoir libre… Le service de l’ost n’existe pas pour moi…
    Tristan chercha son regard et ne le trouva pas.
    *
    –  L’Espagne… soupira Luciane au creux du lit. Avions-nous besoin que ce clerc revienne céans pour nous en dire tant de mal ?
    « Non, assurément », songea Tristan.
    Ce mal, il était fait. Profond, irréparable, il avait contaminé tout Gratot. Des êtres vermillonnés de sang, putréfiés par d’abominables supplices – hommes, femmes, enfants, chevaliers et manants, Juifs et Mores – se mouvaient cette nuit sous toutes les paupières et gonflaient tous les cœurs d’une même anxiété.
    – L’Espagne est loin d’où nous sommes.
    Luciane tressaillit.
    –  Tu trouves ? Isambert l’a si bien introduite en nos murs que nous la pourrions toucher.
    – Par l’imagination, je te l’accorde. C’est, comme on dit, la porte à côté.
    Le monde que Tristan se représentait n’avait plus de chrétien que le nom. Cette porte devant laquelle son esprit demeurait à l’aguet s’ouvrirait-elle pour lui sur de nouvelles déconvenues ? Devrait-il, une fois encore, si Charles V l’exigeait, courber la nuque et dire «  Amen » ? Il méritait de ne subir aucune autre règle que celle qu’il s’imposait chaque jour : vivre heureux ou faire en sorte de le paraître. Il savait qu’en cas d’une nouvelle convocation à l’ost, il se récrierait contre l’iniquité mais se ploierait à l’exigence royale, dût-il vivre ensuite dans un remords permanent d’homme seul, l’âme alourdie de vergogne.
    – Si le roi te convoque, refuse… chuchota Luciane en s’approchant, tiède et consentante, sans même qu’il eût fait un geste. Prie-le qu’il soit… clément. Il peut exaucer ta requête.
    C’eût été se déshonorer. À d’autres – il en existait -, les supplications prosternées. Il avait reçu de son épouse la grâce d’un amour qui affleurait la dévotion. Dans l’univers réduit de Gratot, l’accointance entre Ogier, Thierry, leurs compagnons et lui ne pouvait imposer à sa conscience une renonciation ignominieuse si par malheur il était sommé de rejoindre l’armée. S’il demeurait jusqu’à la mort auprès d’elle, Luciane elle-même lui reprocherait peut-être un jour ce renoncement qu’il fallait bien appeler par son nom : une lâcheté.
    – Approche, dit-elle. Si tu savais comme je me sens déjà seule !
    Plus tard, elle réprima un gémissement :
    –  Tu me fais mal… Tu me serres trop fort… On dirait que tu crains de me perdre.
    Tristan resta silencieux, consterné que, pour la première fois, leur étreinte eût été si brève et leur plaisir si terne.

IV
     
     
     
    Il allait être midi. En attendant que Quesnel cornât l’eau, ils étaient allés s’esseuler au bon milieu de la chaussée. La poitrine penchée sur le garde-corps, Luciane jetait de temps en temps des gravillons dans la douve où des carpes, parfois, se laissaient prendre à leur blancheur. Assis sur le bordage de pierre, Tristan observait tantôt les mains pâles et nerveuses de son épouse,

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