Les foulards rouges
que le
comte n’était autre que le chef des Foulards Rouges, la jeune duchesse ne se
lassait point de se faire raconter les aventures de cette bande
mi-gentilshommes, mi-galériens, d’une incroyable audace. Cette bande et son
chef, bien entendu.
L’élégance, la grâce, l’honneur, le panache, la
fidélité, l’esprit de chevalerie, tout ce qu’elle avait cru trouver en la
Fronde, nul ne l’incarnait mieux que le comte de Nissac entre les bras duquel
elle avait découvert l’amour.
Elle dépassa un jeune cornette dont le cheval
boitait plus bas que le sien et qui portait sur l’épaule un étendard percé de
balles. Le tout jeune officier perdait son sang d’une blessure au côté mais nul
ne s’en souciait, pas même lui qui allait le regard fixe comme s’il s’en
revenait du royaume des morts.
— Comte de Nissac… Loup…
Sa poitrine se gonfla lorsqu’elle songea à
cette vision stupéfiante depuis la rive droite de la Loire. L’artillerie royale
se mettait en batterie à une vitesse étonnante. Et bientôt, à gauche des pièces,
apparaissait un homme sur un grand cheval noir, un homme au chapeau magnifique,
marine, le bord rabattu sur les yeux comme pour accroître quelque mystère et
ces plumes magnifiques, rouges et blanches, d’une merveilleuse harmonie.
Elle pensa défaillir en le voyant si beau, si
droit et cambré sur son haut cheval, et cette façon d’ordonner le tir de chaque
salve en levant d’un geste rapide son épée vers le soleil.
— L’oublier !… L’oublier !…
Certes, elle devait l’oublier. Il aimait
ailleurs et ne le lui avait point caché avec cette franchise étrangère aux
hommes de Cour.
En outre, elle se sentait attirée par un jeune
Frondeur et savait, par le jeu des regards, ce sentiment partagé. Cette fois, ce
qui s’approchait du bonheur passait à portée de main et elle n’envisageait
point de le laisser s’enfuir. Elle n’ignorait pas que le jeune homme ne
ressemblait point à Nissac mais la chose lui paraissait mieux ainsi en cela qu’elle
n’établirait aucune comparaison.
Un mousquetaire gisait au milieu de la route, les
bras en croix. Nul n’avait pris la peine de le tirer sur le bas côté, par peur
de perdre quelques instants alors que la cavalerie royale risquait de charger
les traînards et de provoquer grand carnage en leurs rangs. Des sabots et des
roues de chariots passant sur le cadavre avaient transformé le visage du
mousquetaire en quelque pâte rosâtre et sanguinolente.
Les horreurs de la guerre…
La duchesse détourna son cheval, de sorte qu’il
évita le corps.
— Il faudrait que tout cela cesse ! dit-elle
à voix haute, ce qui fit tourner la tête à deux dragons ayant perdu leurs
chevaux au combat et qui marchaient à sa hauteur.
L’un d’eux, d’une rare insolence, la toisa :
— Quand vous et ceux de votre monde arrêterez
vos guerres qui n’intéressent point le peuple et nous rendrez à besogne plus
utile, alors cela cessera !
Son compagnon ne fut point en reste, ajoutant
à l’adresse de la duchesse :
— Le noble est l’araignée, le paysan la
mouche !
Elle feignit de les ignorer, ravalant sa
colère. La Fronde, cela voulait dire aussi ce désordre né de la lassitude
populaire. Si cette multitude s’armait, Loyalistes et Frondeurs seraient
balayés sans qu’il fût de jaloux.
Elle eût aimé partir, quitter les rangs de la
Fronde, échapper à la guerre, rentrer en son château et n’en point sortir jusqu’à
ce que tout cela finisse. Mais une duchesse de Luègue ne fuyait point le combat.
Elle le savait trop bien, partir signifiait traîner avec elle jusqu’à la fin de
ses jours une honte qui rejaillirait sur son époux et ses enfants.
Elle resterait jusqu’au bout, jusqu’à la lie.
Elle songea alors aux combats futurs et à
cette femme si belle qui, l’épée au côté, paradait devant les canons du comte
de Nissac sous le regard amoureux de celui-ci.
Sans doute aurait-elle dû aimer cette femme de
quelque façon puisque d’évidence, elle rendait heureux le comte tant adoré. C’eût
été là sentiment très noble, élévation de l’âme et logique amoureuse poussée en
son extrémité. Cependant, elle se sentait incapable d’une telle grandeur, laissant
ce trait sublime aux personnages des tragédies de monsieur Pierre Corneille.
La seule chose qui lui venait était une haine
terrible, implacable, qui l’effrayait elle-même. Si cette femme n’avait
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