Les foulards rouges
point
existé, c’est elle que le comte de Nissac eût aimée avec sa façon particulière
qui n’admettait point le partage et engageait pour la vie entière. Sans cette
femme, d’autres magnifiques enfants lui seraient venus de son « Loup »,
et un grand bonheur d’exister.
Elle dépassa un chariot renversé sur le bas
côté et pillé puis, d’une voix cassée par l’émotion, elle murmura : – Je
la hais !… Je la tuerai !…
La duchesse de Luègue, sitôt qu’il était
question du comte de Nissac, n’entendait point la nuance.
47
Au moment où les derniers convois de l’armée
royale passaient la Loire à Gien, le prince de Condé rejoignait secrètement, après
un long périple, son armée du centre et, sans coup férir, prenait tout aussitôt
Montargis avant de marcher sur Château-Renard.
Un agent de Jérôme de Galand ayant constaté de
visu l’arrivée du prince entreprit d’en informer immédiatement le roi. Malheureusement,
sa hâte à quitter l’armée condéenne où il servait comme officier le fit
remarquer. Il fut arrêté, torturé et exécuté.
Si bien que l’armée du roi ignorait toujours
le retour de Condé, bien que la chose fût attendue, mais ce manque de précision
fut sans doute à l’origine du grand désastre qui devait s’abattre sur les
troupes royales encore tout à la joie de leur éclatante victoire de Jargeau.
Pour son malheur, l’armée royale se composait
de deux corps d’armées différents. Cette distinction avait pour origine la
rivalité opposant les maréchaux de Turenne et d’Hocquincourt. Si Turenne, par
réalisme, faisait preuve d’esprit de conciliation, il n’en allait pas de même
en ce qui concernait d’Hocquincourt qui se montrait fort jaloux de n’assurer
point le commandement en chef de l’armée royale. Aussi, malgré la ferme
objection de Nissac, le roi, après avoir balancé, avait-il dû se résoudre à
créer pour le seul Hocquincourt une armée qui fût sienne et donc différente de
celle de monsieur de Turenne.
La Loire passée, monsieur de Turenne
installait son camp fort bien organisé en ses défenses à Briare, près de Gien, tandis
que le maréchal d’Hocquincourt, toujours en disposition maussade, faisait
prendre quartier à son armée à proximité de Bleneau, soit à plus de quatre
lieues de Turenne. En outre, peu satisfait de l’endroit, Hocquincourt dispersa
ses troupes en sept villages différents.
Le comte de Nissac installa sa forte et
redoutable artillerie chez monsieur de Turenne, avec lequel il entretenait
commerce agréable quand il ne pouvait supporter le maréchal d’Hocquincourt, sa
fierté qui se froissait au mot le plus anodin, ses caprices de pucelle
attendant mari, son éternel mécontentement.
Pour le comte, la guerre s’abordait en esprit
d’action commune qui ne laissait point de place aux ambitions personnelles. Nourri
des leçons du passé qu’enseigne l’histoire, il se souvenait du drame d’Azincourt,
de la cavalerie française écrasant sa propre infanterie tant elle avait hâte d’en
découdre, et pour quel résultat !
Inquiet, il se rendait chez le maréchal de
Turenne en compagnie de Sébastien de Frontignac, ce jour-là très bavard.
Ayant essuyé une courte averse, les deux hommes
ne poussaient cependant point trop leurs chevaux tandis que le baron de
Frontignac remarquait :
— Il n’est si gentil mois d’avril qui n’eût
son manteau de grésil.
— Vous semblez de belle humeur, capitaine !
répondit Nissac.
— C’est que j’ai hâte de me heurter avec
passion à mon confesseur.
— Devant que de débattre de théologie, il
vous faudra affronter le prince de Condé.
— Je crains moins monsieur le prince que
mon confesseur.
— Qui est-il ? demanda Nissac.
— Monsieur de Singlin, de Port-Royal des
Champs.
— Méfiez-vous, Frontignac, pour brillants
qu’ils soient, ces gens-là sentent l’hérésie.
— Non point, monsieur le comte. Port-Royal
est au contraire l’avenir de notre religion qui sans l’abbaye sombrerait
rapidement.
Le comte de Nissac soupira :
— Vous êtes inattendu, baron. Tantôt vous
voilà janséniste et tout de pureté catholique, tantôt vous dispensez conseils
de sorcières à nos compagnons. Par l’un ou l’autre côté, c’est bien le bûcher
que vous cherchez !
— Monsieur le comte, rien n’est moins
vrai.
— Et que disiez-vous donc à Florenty et
au baron de Bois-Brûlé ?
— À Florenty, je
Weitere Kostenlose Bücher