Les foulards rouges
d’autres, plus gravement atteints, agonisaient
à proximité des fossés.
D’une vive intelligence, la duchesse n’ignorait
point l’ampleur de la défaite infligée par une poignée de gardes royaux à une
puissante avant-garde de l’armée de la Fronde.
Elle observa un gentilhomme d’un certain âge, colonel
d’un régiment perdu, agenouillé près de son cheval qui gisait sur le flanc, une
patte cassée. Le colonel caressa la tête de l’animal puis, introduisant le
canon de son pistolet dans l’oreille du cheval, il fit feu. La bête se cabra à
demi et retomba. Le gentilhomme se releva, l’air hagard et, d’un pas pesant, reprit
sa marche, à pied, vers Orléans.
— Je déteste la guerre ! murmura la
jeune femme.
À vingt et un ans, quoique d’une éclatante
beauté, elle se sentait quelquefois plus âgée. Ses trois années de Fronde, sans
doute, mais aussi ses illusions perdues. Que restait-il de ce qu’elle croyait
durable à dix-huit ans ? Son goût de la fête ? Envolé ! Elle s’ennuyait
très vite et n’aspirait alors qu’à se retrouver seule ! Une vie de
plaisirs ? À quoi bon les plaisirs qu’on ne partage point avec un homme
qui vous soit cher ? L’oisiveté ? On est à peine en cet état qu’on
souhaite qu’il survienne quelque chose ! La guerre ? On y pleure trop
souvent.
Elle songea à ses premières batailles. À cette
époque, elle s’enivrait des rayons du soleil se reflétant en les lames des
épées, des charges de cavalerie escadron contre escadron, du son du canon. Elle
ne voyait pas, ou ne voulait pas voir, les morts et les blessés, les cadavres
pourris qui grouillent de vers et noircissent sous le soleil. Inconsciente ou
terriblement jeune, elle ignorait tout cela, se préoccupant uniquement de se
choisir nouvel amant parmi les vainqueurs du jour. Elle passait d’un homme à l’autre
pour le simple plaisir de le voler à une rivale, par caprice, par jeu.
Elle pensa au comte de Nissac qui avait
bouleversé son cœur de jeune fille. À aucun prix, en cette époque, et quelle
que fût la force de son amour pour lui, elle n’aurait accepté de vivre en son
vieux château battu par les vagues et le vent.
Aujourd’hui elle y courrait sans doute, depuis
Orléans, et sans monture.
Il avait raison, bien entendu. L’amour, c’était
cela : simplicité et passion loin du regard des autres. L’amour, c’est
aussi ce qu’on abandonne de soi-même à l’objet de son adoration ; or, elle
s’était montrée égoïste. Comment avait-elle pu s’abuser si gravement ? Et
avec elle, tant d’autres femmes de la Fronde ? On cède à un minois, un
beau profil, et l’on se retrouve en un effet tout contraire avec un sot
racontant fadaise sur fadaise et semblable à une coque de noix vide.
Quelle erreur !
Les hommes, cela lui semblait si simple, aujourd’hui,
et l’apparence extérieure comme l’âge n’ont guère d’importance.
Souvente fois, comme un homme vous parle de la
vie, comme il sera amant. Le comte de Nissac était un merveilleux amant mais
aujourd’hui, un peu tard, elle se souvenait comme il parlait de la vie, ses
pensées, ses idées, ses goûts et ses espérances.
Et cet enfant, leur enfant, qui n’avait point
vécu, cette pure merveille si tendre qu’on avait étouffée.
Mazarin !…
Mais Mazarin, était-ce si certain, au fond ?
En trois années où l’on crut le comte mort, elle fut troublée du nombre de
preuves de l’attachement profond du cardinal à son « cher Nissac ». Quand
une amitié est si forte, qu’étant pourtant en état de grande avarice on offre
si importante récompense et que, tout Premier ministre qu’on soit, se déplace
des dizaines de fois pour s’en aller voir un homme ayant perdu la mémoire dans
l’espoir d’y reconnaître celui qu’on cherche, fait-on étouffer le bébé d’un ami
si cher, même si la mère est une Frondeuse – une parmi tant d’autres ?
Fort improbable !
Ce qu’elle voyait de la politique lui
soulevait le cœur et lui laissait penser que l’abjection ne saurait être le
privilège d’un seul camp. À y bien réfléchir, les plus farouches ennemis de
Nissac se trouvaient parmi les Frondeurs et non point dans le camp du roi et du
cardinal où on le considérait comme un héros supérieur à tous par le courage, l’intelligence
et cette suprême audace qui le mena à vivre et agir au cœur même d’une ville
ennemie.
Depuis sa disparition, où l’on apprit
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