Les foulards rouges
Fervac tandis que le comte de
Nissac, tenant Mathilde inanimée dans ses bras, sauta le dernier, la mort dans
l’âme à l’idée d’abandonner à l’ennemi les corps du marquis de Dautricourt et
du baron de Bois-Brûlé.
Mais, déjà, il entendait les pas des Condéens
qui se ruaient à leur suite.
Au même instant, le
marquis Jehan d’Almaric estima qu’il n’était point nécessaire de demander des
explications car en solliciter eût été renoncer à la vie sur l’instant, et tel
n’était point son désir.
Sa maison se trouvait fortement gardée par une
dizaine de Condéens renforcés de quelques racailles qui contrôlaient toutes les
issues et semblaient bien connaître leur métier.
Le marquis fit discrètement demi-tour, tentant
de repousser la vive angoisse qui lui serrait le cœur.
Qu’allait-il devenir ?… Tout son or se
trouvait en sa maison et c’est à peine s’il tenait en une petite bourse de quoi
vivre quelques jours.
Sur le fond, il ne s’interrogeait point
longuement. Son maître l’abandonnait. Pour quelle raison ? L’affaire d’Auteuil,
sans doute. À quoi s’ajoutait la situation de la Fronde victorieuse, certes, et
par miracle en l’affaire de la Porte Saint-Antoine et des canons de la Bastille,
mais pour combien de temps ? Ce jeune roi, Louis le quatorzième, n’avait
point caractère de pucelle. Élevé au milieu des complots, des trahisons, des
fuites précipitées et des Frondes qui se faisaient suite, son caractère s’était
endurci et il ne ferait point cadeau à l’Écorcheur qui figurait parmi les
quelques plus puissants Frondeurs du royaume. En outre, le roi disposait d’une
puissante armée qui, en situation régulière et terrain découvert, aurait taillé
en pièces l’armée des princes.
Mais que lui importaient, au fond, les futurs
malheurs de son ancien maître ?
Il ne devait penser qu’à lui, exister comme il
pourrait, en se cachant, et attendre que cesse la surveillance de sa maison de
la rue du Petit Lion. Alors, il y retournerait en situation de grande prudence
et de plus de sécurité afin de récupérer son or, car lui seul connaissait son
adroite cachette.
Mais en attendant, dans l’incapacité où il se
trouvait de faire connaître sa qualité de gentilhomme, comment allait-il
survivre ? Et comment échapper à tous ceux qui connaissaient ses traits ?
En proie à un grand désarroi, le marquis d’Almaric
se fondit en la masse des petites gens.
N’étaient-ils pas appelés à devenir ses
compagnons de chaque jour pour il ne savait combien de temps ?
Le marquis frissonna, la peur au ventre, mais
il n’eut pas une pensée pour la quinzaine de malheureuses qu’il avait vues
frissonner elles aussi en des circonstances bien plus terribles.
Le baron Jérôme de
Galand resta stoïque sous l’averse des reproches qu’on lui adressait.
Ils lui faisaient face, tous les grands
Frondeurs : Condé, Beaufort arrivé à l’instant, Nemours blessé, Gaston d’Orléans,
La Rochefoucauld les yeux bandés, le duc de Rohan-Chabot et trois autres encore.
Et parmi eux – mais il manquait le cardinal de
Retz –, probablement l’Écorcheur.
Galand écoutait avec profonde tristesse l’immonde
Beaufort dont les troupes, disait-il, traquaient les derniers Foulards Rouges
en les souterrains de Paris tandis que, Place Dauphine, on avait pendu par les
pieds les cadavres de deux de ces « insaisissables » – le duc appuya
sur ce mot – agents du roi et du cardinal.
Il fallait tenir bon. Qu’aucun muscle de son
visage ne tressaillît alors qu’il connaissait chacun des Foulards Rouges et se
demandait quels étaient ceux qui se trouvaient ainsi pendus de manière infâme
après qu’on les eut couverts d’urine et de crachats.
Il fallait penser aux autres Foulards Rouges, qu’il
saurait bien aider. Il fallait se souvenir qu’il était – officieusement – général
de police du royaume, grade qu’aucun homme avant lui n’avait occupé, et qu’il
instruisait en secret les dossiers à charge de tous ces princes et ducs qui le
prenaient de si haut.
Il fallait les oublier, eux et leur morgue, leur
désir de ramener des siècles en arrière ce pays plein de promesses.
Il devait penser à la belle baronne Éléonor de
Montjouvent, son seul véritable avenir car, la Fronde vaincue, il prendrait du
recul et quitterait à jamais les affaires de police et de politique en emmenant
Éléonor.
Deux choses combleraient sa vie :
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