Les foulards rouges
après son rêve mais n’était-ce
point grande bêtise que d’en vouloir si fort à un rêve, une pauvre chimère ?
— Oui, mais celui-ci était trop beau et
la réalité bien triste.
Il revoyait sans cesse le corps et le visage
de Mathilde.
Il arrêta ses gestes et sourit.
— Si belle, si douce, si fondante dans
mes bras.
La chose le troublait, cependant. Le petit cri
de douleur de Mathilde : les rêves sont-ils donc si précis qu’ils prennent
le temps de vous expliquer que c’est une vierge qui se presse contre vous ?
Mathilde entra à cet instant.
Leurs regards se croisèrent.
Ils hésitèrent. Il s’en fallut de bien peu qu’ils
ne se jettent dans les bras l’un de l’autre mais dans l’ignorance où chacun se
trouvait des pensées de l’être qui lui faisait face, il ne se produisit rien.
Au reste, Nissac craignait, ne serait-ce que
par une allusion, de passer pour un soudard quand Mathilde ne voyait absolument
plus comment justifier ce qui, peu auparavant, lui avait semblé si beau et si
naturel.
On but le bouillon en silence, le comte de
Nissac coupa la fougasse sans un mot.
Ce fut sinistre, comme cette aube de décembre
qui se levait sur la ville.
Puis, d’un geste élégant, la comte posa sa
longue cape noire sur ses larges épaules et tout de même, bien que leur
différence de condition proscrivît un tel geste, il embrassa un peu plus
longuement qu’il n’est séant la main de Mathilde.
Enfin, l’air désolé, il lui dit :
— Je dois partir, madame de Santheuil. Je
ne vous remercierai jamais trop de m’avoir ouvert votre porte et si gentiment
traité. J’en informerai le cardinal.
Malgré elle, bien qu’elle se l’interdît, elle
lança :
— Vous voilà de fort méchante humeur, monsieur
le comte. Auriez-vous fait un mauvais rêve ?
Il sourit, convaincu, à présent, qu’il ne s’était
rien passé. Puis, coiffant son feutre marine à grandes plumes rouges et
blanches, il répondit en tentant de cacher son amertume :
— Madame, ne m’en veuillez point. Tout au
contraire certains rêves sont si beaux qu’on voudrait ne jamais s’éveiller et l’est-on,
ils vous laissent au matin fort chagrin devant une réalité d’une grande
tristesse.
Il rabattit le feutre sur ses yeux et sortit
sans ajouter un mot.
13
C’est par un temps désolant que les quatre
cavaliers arrivèrent au petit château de la Tournelle, en bordure de la rivière
de Seine.
L’endroit, sinistre, n’inspirait guère le
comte de Nissac.
Le baron de Frontignac désigna le château d’un
geste vague :
— C’est un reliquat de l’enceinte de
Philippe-Auguste. Très vétusté, comme bien vous le verrez.
— Et puant ! Comme toutes les
prisons !… ajouta le baron Le Clair de Lafitte.
Nissac observa Maximilien Fervac qui, sans la
mansuétude de Le Clair de Lafitte, eût certainement fréquenté ces lieux. Sans
doute Fervac y songeait-il aussi car il gardait très obstinément la tête
baissée afin de n’y point trop voir.
Habitué par sa vie aux armées à juger la
disposition d’une place, Nissac remarqua immédiatement le corps de bâtiment
imposant flanqué de deux tours et la cour pavée qui y menait. D’un côté, la
Seine grise charriant des épaves. De l’autre, le quai boueux où s’entassaient
briques, ardoises et bois de construction. Plus loin, un entrepôt où l’on
déchargeait des barges les tonneaux de vin d’Auvergne, de Bourgogne et de Mâcon.
— Qui commande ici ? demanda Nissac
à ses compagnons qui, les deux jours précédents, avaient visité les lieux et
opéré une sélection sévère parmi les prisonniers.
Frontignac, qui semblait avoir pris l’affaire
très à cœur, répondit aussitôt :
— Un concierge et quatre hommes pour la
garde des prisonniers. C’est peu, monsieur le comte, mais il faut savoir que
ces hommes sont constamment enchaînés.
— Qui a nommé ce concierge ?
Habitué aux questions abruptes du comte, Frontignac
avait de longue main préparé les réponses aux éventuelles questions :
— Les prisonniers étant tous destinés aux
galères, l’endroit relève de la Marine. C’est le Secrétaire d’État qui nomme
les hommes et les paie sur ses fonds.
— Et quel clergé assiste les âmes de tout
ce monde ?
— La chose est simple, monsieur le comte.
Depuis une quinzaine d’années, à la demande insistante de la compagnie du
Saint-Sacrement, monsieur l’archevêque a confié
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