Les foulards rouges
à
présent.
— Et moi vingt-huit. Si bien qu’à suivre
votre exemple, je peux encore attendre.
— Je ne croirai jamais que nul ne s’est
encore déclaré.
Elle détourna le visage et il comprit qu’elle
se retenait de pleurer. Puis, surmontant cette passagère détresse :
— Oh, mais si. Ils sont quelques-uns. L’apothicaire
de la rue Neuve-Saint-Merry, le notaire de la rue des Lombards, l’avocat de la
rue de la Verery et quelques autres encore auxquels je pourrais ajouter les
clercs de basoches [6] disant sur mon passage…
Elle s’arrêta brusquement. Le comte, les yeux
fermés, serrait les dents. Elle approcha une main tremblante du front de Nissac :
il était brûlant.
— La fièvre est revenue ! dit la
jeune femme avant d’ajouter : il faut vous coucher sans tarder. Y
arriverons-nous, monsieur le comte ?
— À nous deux, nous pourrions aller au
bout de la vie ! dit-il en la prenant aux épaules pour ne pas tomber.
Elle crut qu’il délirait, et le regretta
vivement.
Au reste, il ne délirait point.
Il s’agitait de plus
en plus et le froid grandissait comme la nuit avançait. Elle descendit
plusieurs fois et remonta avec une bassinoire pour tiédir le lit ou des
cruchons remplis d’eau très chaude qu’elle installait sous la plante des pieds
de Nissac et celui-ci, chaque fois, semblait émerger des grandes fièvres pour
dire « merci ».
Mais l’effet bienfaisant durait peu et, bientôt,
le comte claquait des dents, le front brûlant.
On n’y pouvait rien. La petite maison était
exposée au nord et il y régnait l’hiver un froid glacial en les étages.
Mathilde de Santheuil savait ce qu’il
convenait de faire mais sa pudeur la paralysait. Elle restait assise à côté de
ce grand corps étendu et grelottant, mais s’alarma lorsque le comte murmura :
— Dieu, qu’il est donc difficile de
crever enfin !
Alors, elle dévêtit Nissac. Si elle s’étonna
qu’un corps d’homme pût être si dur, si musclé, elle fut stupéfaite de
découvrir une dizaine de cicatrices des épaules jusqu’aux cuisses. Qu’était-ce,
tout cela ? Coups de rapière, de mousquet, de poignard, de pistolet, brûlures
de poudre…
Cependant, loin d’en éprouver du dégoût, elle
caressa d’une main légère chaque cicatrice avec cette tendresse qu’on réserve à
un enfant batailleur qui tout à la fois vous inquiète à risquer si bêtement sa
vie et suscite votre admiration pour le mépris en lequel il tient le danger.
Elle ouvrit le lit et installa le comte puis, avec
des gestes lents et réfléchis, elle se dévêtit, se coucha sur l’homme et
remonta sur eux couvertures et courtepointe.
Il gémit en sentant cette chaleur nouvelle.
Elle pleura de plaisir en sentant les bras d’acier qui se refermaient sur sa
taille menue.
Elle songea bien à dire une prière mais
préféra baiser cette bouche aux lèvres sensuelles et aux dents très blanches, si
plaisamment écartées sur le devant.
Alors elle murmura :
— Tant pis, je serai damnée mais je ne
regretterai jamais cet instant, mon amour.
Dehors, le vent soufflait en tempête dans les
petites rues du quartier Neuve-Saint-Merry, toutes ces rues noires et désertes
où la patrouille des archers refusa de se risquer au motif que le vent
soufflerait les falots.
Elle se leva cinq
heures plus tard. La fièvre avait quitté le comte.
Nue, elle sortit du lit et se vêtit dans la
pièce du bas. Elle alluma le feu et prépara un bouillon léger puis, courant
chez le boulanger qui n’avait point ouvert encore son échoppe, elle le tira du
fournil pour lui acheter une fougasse.
Le vent était tombé mais il faisait encore
bien sombre.
Elle marchait à pas lents en songeant avec une
joie qui la faisait sourire : « Eh bien voilà, je suis une femme, et
c’est délicieux d’être une femme ! »
Puis l’angoisse la saisit : le comte s’était-il
aperçu de…
Elle rougit.
Tout s’était passé si vite, au plus fort de la
fièvre. Les bras puissants l’avaient déplacée, la posant sur le dos. On l’avait
caressée et embrassée de la tête aux pieds tandis qu’elle pleurait de bonheur. Enfin,
il y avait eu cette brève douleur et ce plaisir inconnu qu’elle ne soupçonnait
même pas, ses propres cris, ce halètement…
Elle pria pour que le comte n’eût aucun
souvenir de cette nuit.
Nissac, torse nu, fit
une toilette rapide puis s’habilla.
Il se sentait de méchante humeur.
Très en colère
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