Les foulards rouges
seulement à la mienne, ce qui est bien plus
grave encore. Tuez sans pitié et sans question quiconque tentera de nous barrer
la route. Vous le savez, Nissac, je n’ai confiance qu’en vous !
C’est ainsi que dans la nuit du 5 au 6 de
janvier de l’an 1649, à trois heures du matin, la reine, le dauphin Louis et
son frère Philippe avaient emprunté un escalier dérobé menant au jardin du
Palais où attendaient Nissac et ses hommes, armés jusqu’aux dents. De là, le
petit groupe de fugitifs avait gagné la rue de Richelieu où attendaient deux
carrosses.
Le futur roi Louis le quatorzième, dès son
arrivée en les jardins, avait été soulevé de terre par un géant noir qui l’effraya
fort, au point qu’il demanda :
— Êtes-vous donc gentil, monsieur ?
— Hélas pour moi, je le suis
désespérément, Votre Majesté !
— Vous êtes fort comme trois chevaux !
Quel est votre nom ?
— César de Bois-Brûlé, Votre Altesse
Royale !
Le géant marchait à pas rapides, tous les sens
en éveil, scrutant l’ombre des jardins obscurs. Le futur roi sentait battre le
cœur de l’homme et la chose l’émut profondément.
Relâchant un très court instant son attention,
le géant ajouta :
— Sire, je suis un infâme menteur mais ce
« de » était mon nom d’acteur, jadis, et il me vient naturellement
sous la langue. Bois-Brûlé est simplement mon nom, sans y rien ajouter.
Le futur roi, revenu de ses frayeurs et que la
situation amusait, caressa les cheveux de l’homme qui le portait puis, d’un ton
de regret :
— Excusez-moi, monsieur de Bois-Brûlé, mais
j’en mourais d’envie. Vos cheveux sont durs, et ont profondes racines.
— Bois-Brûlé, Sire !… Simplement
Bois-Brûlé !
— Non point, il ne me plaît pas qu’il en
soit ainsi. Lorsque je serai roi, par décret, et pour vous remercier, vous
serez monsieur de Bois-Brûlé. Monsieur le cardinal trouvera bien, en Maine ou
en Anjou, baronnie à votre mesure et convenance.
— Mais Sire… Tout le mérite de ce que je
fais revient à monsieur le comte de Nissac !
— Le comte est notre sauveur et l’envoyé
de la providence, nous n’en ignorons rien !
Monsieur « de » Bois-Brûlé, perplexe,
s’interrogea sur l’étrangeté de la vie qui menait en si peu de temps de la
paille pourrie et pleine de vermine des Tournelles à une baronnie promise par
le futur roi de France en personne.
Escortés par ces
sept étranges gardes du corps, les deux carrosses avaient roulé jusqu’au Cours
de la Reine où les attendaient le cardinal Mazarin, « Monsieur », car
ainsi appelait-on Gaston d’Orléans, frère de feu le roi Louis XIII et
oncle du futur Louis XIV, et enfin monsieur le prince de Condé avec
quelques hauts personnages de la Cour.
Dans le froid glacé, mais sous un merveilleux
clair de lune, le cortège grossi des gardes, gendarmes et chevau-légers du roi,
s’était mis en route à grande vitesse vers le château de Saint-Germain-en-Laye.
Cela ne ressemblait point à un départ mais à
une fuite.
Dans le carrosse, le
Premier ministre observa la régente qui sommeillait sur les coussins tandis que
le futur roi observait quelqu’un à l’extérieur.
Mazarin suivit le regard de Louis et remarqua « Monsieur
de » Bois-Brûlé. Un discret fou rire le prit en imaginant monsieur de
Bois-Brûlé sortant de la cache de la rue Sainte-Marie Égiptienne, en soutane, et
se faisant passer pour un « Jésuite hongrois » ! Si le bon
peuple gobait cette farce, il était mûr pour un triplement des impôts !
Mazarin eut une pensée fraternelle pour le
comte de Nissac qu’il voyait galoper à côté du carrosse, l’épée à la main. Comme
il avait besoin de cet homme en ces temps de lâcheté et de trahison !
Louis, qui avalait sa salive depuis un petit
moment, lança :
— Nous avons faim !
Aussitôt, une dame de compagnie de la reine
raviva un petit fourneau et tira un lais [8] .
Mazarin, songeur, s’émerveilla : « Le
progrès, tout de même. Fera-t-on jamais mieux pour voyager ? »
15
À Paris, où Nissac et ses hommes étaient
revenus en la matinée, la fièvre montait d’instant en instant. Le parlement
refusait son transfert à Montargis, bien que ce fût là décision royale, et
contre-attaquait en affirmant que le futur roi avait été enlevé par Mazarin. Poussant
cette logique en son extrémité, le parlement déclarait le Premier ministre « auteur
de tous les
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