Les foulards rouges
« l’Écorcheur ».
Sa haute naissance ne l’avait guère habitué à
la patience et, comme tous les grands seigneurs, il aimait qu’on cédât
sur-le-champ à ses caprices.
N’importe, il se vengerait.
Sur ELLES, toutes celles qui tomberaient entre
ses mains sans finesse d’aspect et pourtant si habiles à manier le stylet…
Mathilde de
Santheuil allait et venait en sa maison sans avoir le cœur à rien entreprendre.
Tout d’abord, il y avait eu cet homme qui l’avait
étrangement dévisagée et suivie mais, connaissant le quartier beaucoup mieux
que l’inconnu, Mathilde l’avait perdu en utilisant un immeuble à double issue.
Il n’empêche, elle n’avait guère aimé ce
regard-là. Point d’envie, de concupiscence ou de lubricité, comme chez la
plupart des hommes qu’elle croisait. C’était beaucoup plus étrange… Elle avait
deviné la surprise que son visage causait à l’homme, comme s’il la
reconnaissait, et, tout aussitôt, l’intérêt qu’elle suscitait. Un intérêt
presque… marchand !
Elle chassa bien vite cette pensée pour en
revenir à son principal tourment.
Au reste, un bien tendre tourment !
Mathilde languissait depuis le départ du comte
de Nissac. Chaque chose, chaque objet lui rappelait cet homme si fort qu’elle
avait vu démuni comme un enfant.
Elle se souvint du vent qui, dehors, hurlait
si fort. Puis ces bras solides autour de sa taille… À ce souvenir, elle
frissonna, traversée d’une onde de désir qui, partant de la nuque, allait jusqu’au
bas du dos. Ah, s’abandonner, devenir toute petite, chérie, embrassée, écrasée,
caressée, secouée, dorlotée…
Elle avait observé en se cachant le départ du
comte une fois qu’il eut récupéré son haut cheval noir chez Joseph, le
tenancier des « Armes de Saint-Merry ».
Le cheval avançait d’un pas lent et majestueux.
Nissac se tenait très droit. La cape noire, le feutre marine à plumes, il
attirait tous les regards. Curiosité craintive chez les hommes, intérêt sensuel
chez les femmes.
Mathilde tenta de se reprendre en main, de se
raisonner. Il n’était pas pour elle, on ne connaissait point telle mésalliance
en quelque partie que ce fût du royaume. Jamais, absolument jamais, elle ne
serait la femme du beau comte de Nissac. Mais alors jamais, absolument jamais, elle
n’aimerait un autre homme ou permettrait qu’un autre la touchât.
Elle s’assit à la place qu’avait occupée le
comte et sa main caressa le bois de noyer qu’il avait touché puis, réprimant à
grand-peine un profond sanglot, elle murmura :
— Voilà, c’est déjà fini. J’ai vécu toute
ma vie en une brève nuit.
Pourquoi la naissance séparait-elle ainsi irrémédiablement ?
Pourquoi était-il comte, d’une noblesse remontant à Saint Louis ? Et
pourquoi général, commandant l’artillerie de monsieur le prince de Condé ?
Pourquoi avait-il un château, une chapelle privée, des terres immenses ?
Loup de Pomonne, comte de Nissac ! Deux
particules séculaires, comme si une seule ne suffisait point à les séparer à
jamais ?
Et s’il l’aimait, lui aussi, quelle serait son
attitude ? Serait-il assez fort, et son amour pareillement, pour vaincre
les préjugés ?
Elle se souvint comme il avait regardé autour
de lui, comme il l’avait scrutée, elle, avant de dire d’une voix triste où
perçait le regret : « J’ignorais que tout cela existât ! »
Comme l’autre soir, les flammes des bûches qui
se consumaient dans la cheminée se reflétaient dans le cuivre de la fontaine. Comme
l’autre soir, Mathilde faisait brûler des bougies dans les candélabres.
Il serait tellement à sa place, ici, à la
serrer dans ses bras !
Elle pleura longuement, sans bouger, sans
grands sanglots puis, dans un murmure :
— Je t’aime tellement !… Où es-tu, mon
amour ?
À cheval dans la
nuit glacée, le comte de Nissac et ses six compagnons escortaient un luxueux
carrosse tiré par six chevaux.
Dans la ville où grondait l’émeute, où les
Frondeurs parlaient haut quand les loyalistes rasaient les murs, le cardinal
avait été clair :
— Nissac, vous encadrerez le carrosse l’épée
à la main, je dis bien l’épée à la main, vous, vos gentilshommes et vos gibiers
de potence. Derrière, prêts à vous assister, suivront mes gendarmes quand des
chevau-légers ouvriront la route. Nissac, mes espions m’ont fait tenir qu’on en
voulait à ma vie, et peut-être pas
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