Les foulards rouges
désordres de l’État », lui enjoignant de quitter le
territoire et invitant « tous les sujets à lui courir sus ».
Cette fois, on allait à l’affrontement direct.
On leva une armée. Déjà, les quartiers de la
ville fournissaient un régiment.
Plus grave, de très grands seigneurs jetaient
bas le masque et rejoignaient la Fronde du parlement. Ainsi du duc d’Elbeuf, descendant
des Guise ; La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon et frère de Turenne ;
Philippe de la Motte-Haudancourt, maréchal de France ; le prince de
Marsillac, futur François de La Rochefoucauld ; l’inévitable duc de
Beaufort, petit-fils d’Henri IV…
Le beau monde abandonnait le futur roi, la
régente et le Premier ministre en leur Cour de Saint-Germain pour gagner Paris.
La très convoitée madame de Longueville, beauté
blonde aux grands yeux turquoise, se ralliait à la Fronde. Mais la ravissante
duchesse ne vint point seule : sœur de Condé, elle amenait son autre frère,
Armand de Bourbon, prince de Conti et ce prince du sang fut aussitôt nommé
généralissime de la Fronde.
Enfin, pour maîtriser totalement Paris, on fit
tirer au canon sur la Bastille, vieille forteresse demeurée loyaliste et qui
capitula, encerclée par l’armée de la Fronde.
Devant ces succès annonciateurs d’une campagne
foudroyante, un des très hauts personnages de l’État rallia les insurgés :
Jean-François Paul de Gondi, coadjuteur de l’archevêque de Paris et futur
cardinal de Retz.
Chez les loyalistes terrés dans Paris, on n’en
menait point large, espérant des jours meilleurs.
À quelques exceptions près, cependant…
En vieux policier
prudent et rusé, Jérôme de Galand, lieutenant criminel de Paris entièrement
acquis au cardinal, avait donné rendez-vous au comte de Nissac en un bouchon de
la rue des Deux Écus, proche de l’hôtel de Soissons.
Nissac avait d’abord été jeter un regard à la
crue de la rivière de Seine, toute soudaine et très impressionnante. Les berges
se trouvaient submergées et, sur le fleuve, le bois flotté de Bourgogne n’arrivait
plus. Le port de Grève et celui de l’École, près du Pont-Neuf, étaient déjà
sous les eaux.
Mais cela n’empêchait nullement le froid, un
froid à pierre fendre qui ne décourageait point les « crosseurs [9] » de s’adonner à leur jeu favori sur les surfaces gelées.
Nissac pénétra dans le bouchon de la rue des
Deux Écus et repéra bien vite une table sur une mezzanine à laquelle on
accédait par une volée de marches.
Jérôme de Galand, la cinquantaine, affectait
un air d’indifférence mais Nissac comprit que rien ne lui échappait, son regard
d’aigle saisissant toutes choses.
— Je suis votre serviteur, monsieur le
comte. Douter de ma fidélité serait pour vous une perte de temps.
— Je sais, vous m’avez été recommandé par
une commune relation.
Cette allusion au cardinal détendit le
policier mais, pour reprendre leur conversation, les deux hommes attendirent le
départ d’une servante qui apporta une cruche de vin blanc et se retira aussitôt.
Nissac prit l’initiative :
— Je suis très ignorant des choses de
police. Je crois savoir que votre supérieur, le lieutenant civil du Châtelet [10] , n’est point de nos amis, n’est-ce pas ?
— Pas exactement, monsieur le comte. Le
lieutenant civil, qui hésite longuement sur le parti à choisir, prend
actuellement médecine. C’est une façon de gagner du temps. Cela dit, l’homme n’est
point sûr, on ne peut sérieusement compter sur lui. Pas davantage sur le
chevalier du guet ou le Prévôt en l’île.
— Et les autres ?
— Les commissaires sont incertains. Je ne
peux guère tenir pour fidèles que quatre hommes de la compagnie d’archers à
cheval.
— C’est bien peu.
— C’est qu’en cette époque on manque de
convictions, monsieur le comte.
— Mais pas vous.
— Pas moi. J’ai horreur du désordre.
— Voyez-vous un moyen de changer les
choses concernant nos maigres troupes de police ?
— J’y ai pensé. Certains archers
déserteront aux premiers jours de la guerre. D’autres, je me charge de leur
lever le cœur en leur rendant la vie impossible. Je tiens disponible une
quinzaine d’hommes que je ferai alors entrer régulièrement en ma troupe sans
éveiller de soupçons.
Le comte regarda les dîneurs, en contrebas. On
parlait des « événements », mêlant la Fronde et l’inondation. Nissac
remarqua six
Weitere Kostenlose Bücher