Les Frères Sisters
mâen souviens.
â Peux-tu sâil te plaît me dire si je le suis toujours  ?  »
Elle me regarda, et je savais quâelle connaissait la réponse, mais quâelle nâallait pas parler.
«  à quel point suis-je protégé  ? insistai-je. Est-ce que ce sera toujours le cas  ?  »
Elle ouvrit la bouche et la referma. Elle secoua la tête. «  Je ne vous le dirai pas.  » Le bas de sa robe tournoya autour dâelle telle une roue alors quâelle faisait demi-tour, puis elle sâéloigna. Je cherchai un caillou à lui lancer, mais je nâen trouvai aucun à portée de main. Charlie regardait toujours la cruche, dans la boue. «  Jâai terriblement soif, dit-il.
â Elle voulait te tuer, lui dis-je.
â Quoi, elle  ?
â Je lâai vue empoisonner un chien.
â Cette jolie petite. Pourquoi diantre ferait-elle une chose pareille  ?
â Par pure méchanceté, je crois.  »
Charlie scruta le ciel, qui sâempourprait. Il laissa tomber sa tête à la renverse, ferma les yeux et dit, «  Et quâest-ce qui nous attend maintenant  ?  » Puis il rit. Une minute ou deux ne sâétaient pas écoulées quâil dormait.
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FIN DE LâINTERMÃDE
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Un docteur amputa la main de Charlie à Jacksonville. Entre-temps, la douleur sâétait atténuée, mais sa chair avait commencé à se gangréner, et il nây avait dâautre recours que de lâenlever. Le docteur, du nom de Crane, était un homme âgé, quoique calme et agile. Il portait une rose à la boutonnière, et il me parut dâemblée être un homme de principe. Câest ainsi que lorsque je lui fis part de nos difficultés financières, il balaya ma remarque dâun geste, comme si cette question dâargent lui importait peu. Lorsque Charlie sortit une bouteille dâeau-de-vie en disant quâil voulait se griser avant lâopération, le docteur sây opposa, expliquant que lâalcool provoquerait des saignements excessifs. Mais Charlie rétorqua quâil sâen moquait, quâil agirait à sa guise et que rien au monde ne pourrait le dissuader de faire ce dont il avait envie. Finalement je pris Crane à part et lui suggérai de donner à Charlie lâanesthésiant sans lui dire ce que câétait. Il comprit mon subterfuge, et après avoir endormi mon frère, tout se déroula aussi bien que possible. Crane opéra à la lueur des bougies, dans son propre salon.
La gangrène sâétait propagée au-delà du poignet, et Crane dut couper au milieu de lâavant-bras avec une scie à grandes dents spécialement fabriquée, précisa-t-il, pour trancher les os. Lorsquâil eut terminé, son front luisait de transpiration, et il se brûla par mégarde à la lame, qui avait chauffé. Il avait pris soin dâinstaller un seau pour que la main et le poignet y tombent, mais ils atterrirent par terre, car il lâavait mal positionné. Il ne prit pas la peine de sâinterrompre pour ramasser, tant il était affairé à sâoccuper de ce qui restait de Charlie, et je traversai la pièce pour le faire moi-même. Câétait étonnamment léger  ; le sang coulait de la main, que jâattrapai par le poignet et soulevai au-dessus du seau. Je nâaurais jamais touché ainsi le bras de Charlie sâil avait été attaché au reste de son corps, et jâen rougis, tant la sensation me fut étrange. Je passai mon pouce sur les poils noirs et rugueux. Je me sentis à ce moment très proche de mon frère. Je déposai la main debout dans le seau, que je portai hors de la chambre, car je ne voulais pas quâil le voie à son réveil. Après lâintervention, alors que Charlie était allongé sur un grand lit de camp au milieu du salon, bandé et drogué, Crane mâencouragea à aller prendre lâair, en mâexpliquant quâil faudrait encore plusieurs heures avant que Charlie reprenne conscience. Je le remerciai et partis. Je marchai jusquâaux limites de la ville, pour me rendre au restaurant dans lequel jâétais allé lors de mon dernier passage. Je mâinstallai à la même table et fus servi par le même
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