Les Frères Sisters
leurs robes nâétaient plus soigneusement repassées. Elles ouvrirent les hostilités en nous lançant des remarques désagréables.
«  Regardez-les, ces deux-là .
â Par terre, comme ça.
â Vous avez vu son ventre, au gros  ?
â On dirait que lâautre sâest blessé à la main.
â Il pourra plus zigouiller les palefreniers.  »
Dans le vacarme général, Charlie me glissa, déconcerté, «  Pourquoi elles nous en veulent  ?
â Nous avons chassé leur patron, tu te souviens  ?  », et, mâadressant aux filles, je dis, «  Mais nous nâavons pas mis le feu à lâhôtel, câest Mayfield qui a fait le coup. Du moins, câest ce que je crois. En tout cas je suis sûr que ce nâest pas nous.  » Ces mots ne réussirent quâà attiser leur colère.
«  Ne nous parle pas de Mayfield  !
â Mayfield nâétait pas si méchant  !
â Il nous payait au moins, non  ?
â Il nous donnait un toit pour dormir, non  ?
â Câétait peut-être un salaud, mais pas autant que vous.
â Vous, vous êtes de vrais salopards.
â Ah, ça câest bien vrai, tiens.
â Quâest-ce quâon va en faire, de ces salopards  ?
â Salopards  !
â On va leur régler leur compte  !  »
Elles se jetèrent alors sur nous et nous plaquèrent au sol. à travers le mur de corps jâentendais Charlie rire, et je trouvais cela drôle aussi, au début, mais mon amusement céda bientôt la place à la contrariété lorsque je me rendis compte que je ne pouvais plus bouger, et que des mains baladeuses étaient en train de vider mes poches de tout lâargent quâelles contenaient. Charlie et moi commençâmes alors à nous défendre et à vitupérer contre les filles, mais plus nous nous débattions et plus elles semblaient prendre le dessus. Lorsque jâentendis Charlie hurler de douleur, je paniquai pour de bon  : sa putain était en train dâenfoncer son talon dans sa main blessée, alors je mordis la fille la plus proche de moi à travers sa robe, enfonçant mes dents dans les répugnants bourrelets de son ventre. Fulminant, elle se saisit de mon pistolet et le pointa sur ma tête juste au-dessus de mon sourcil. Je mâimmobilisai, silencieux, et la haine était si intense dans ses yeux que je mâattendais à tout moment à voir lâéclair blanc surgir du trou noir et sans fond du canon de lâarme. Mais rien de tel ne se produisit, et les putains, assouvies, nous laissèrent là , sans un mot, emmenant avec elles nos pistolets et notre argent, à lâexception des cent dollars que nous avions glissés dans nos bottes, où, par chance, elles nâavaient pas pensé à regarder.
Â
Je mâendormis par terre en plein soleil dans la ville de Mayfield à moitié morte. Je me réveillai au crépuscule, et la petite fille étrange que jâavais rencontrée lors de mon dernier passage se tenait devant moi. Elle portait une nouvelle robe, et ses cheveux frais lavés étaient maintenus par un gros nÅud rouge. Les mains délicatement croisées devant sa poitrine, elle avait lâair dâattendre quelque chose avec appréhension. Elle regardait Charlie, qui était à côté de moi. «  Câest toi  », dis-je. Elle me fit signe de me taire, puis désigna du doigt mon frère, qui tenait une cruche en verre pleine dâeau au fond de laquelle tourbillonnait une poussière noire. Je mâaperçus que la petite fille avait des traces de poison sur la main, comme la dernière fois. Charlie porta la cruche à sa bouche, mais dâun geste je lâenvoyai valser, et elle atterrit dans une flaque de boue sans se briser. Lâeau se répandit par terre, et la fillette me jeta un regard menaçant. «  Pourquoi avez-vous fait ça  ?  »
Je dis, «  Je voulais te parler de ce que tu mâas raconté lâautre fois.  »
Elle regarda distraitement la cruche, et demanda, «  De quoi vous ai-je parlé la dernière fois  ?
â Tu as dit que jâétais un homme protégé, tu te souviens  ?
â Je
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