Les Frères Sisters
commande.
â Et pour lâargent  ?
â Plus pour moi.
â Ma part, je veux dire. Pareil quâavant  ?
â Moins pour toi.
â Je ne vois pas pourquoi.
â Le Commodore dit quâil nây aurait pas eu tous ces problèmes la dernière fois sâil y avait eu un chef.
â Ce nâest pas logique.
â Eh bien, si.  »
Il me versa un autre verre et je le bus. Aussi bien pour moi que pour Charlie, je dis, «  Sâil veut payer pour que quelquâun dirige les opérations, pourquoi pas  ? Mais câest un mauvais calcul de baisser le salaire du numéro deux. Jâai eu la jambe déchiquetée en travaillant pour lui, et mon cheval a péri dans les flammes.
â Mon cheval aussi est mort brûlé. Mais il nous a trouvé de nouvelles bêtes.
â Câest un mauvais calcul. Et arrête de me servir comme si jâétais manchot.  » Jâécartai la bouteille et lui demandai de mâen dire plus au sujet de lâaffaire. Il nous fallait trouver et tuer un chercheur dâor en Californie du nom de Hermann Kermit Warm. Charlie sortit de la poche de sa veste une lettre de lâhomme de main du Commodore, un dandy appelé Henry Morris, qui était souvent envoyé sur le terrain avant nous, pour rassembler des informations  : «  Après avoir passé plusieurs jours à étudier Warm, voici ce que je puis dire quant à ses habitudes et à son tempérament. Il est de nature solitaire, mais passe de longues heures dans les saloons de San Francisco, à lire ses livres de sciences et de mathématiques, ou à dessiner dans leurs marges. Il sâattire les quolibets car il porte ces volumes attachés ensemble avec une sangle, tel un écolier. Il est petit, ce qui accentue le côté comique de son allure, mais gare à ceux qui oseraient se moquer de sa taille. Je lâai vu se battre à plusieurs reprises, et même sâil perd la plupart du temps, je ne crois pas que ses adversaires éprouvent la moindre envie de se frotter à lui à nouveau. Il nâhésitera pas à mordre, par exemple. Il est chauve, avec une barbe rousse hirsute, de longs bras qui lui donnent une allure dégingandée, et un ventre protubérant de femme enceinte. Il ne se lave pas souvent, et dort où il peut â granges, porches, et, au besoin, dans la rue. Lorsquâil parle, câest avec une brusquerie peu engageante. Il porte un Colt Baby Dragoon dans une ceinture en tissu autour de la taille. Il ne boit pas souvent, mais lorsquâil décide de lever le coude, câest pour sâenivrer complètement. Il paie son whisky avec des paillettes dâor pur quâil garde dans une bourse attachée à une longue ficelle, quâil cache dans les multiples épaisseurs de ses vêtements. Il nâa pas quitté la ville une seule fois depuis que je suis ici, et je ne sais pas sâil a lâintention de retourner à sa concession, laquelle se trouve à une quinzaine de kilomètres de Sacramento (voir carte ci-jointe). Hier, dans un saloon, il mâa poliment demandé une allumette, en sâadressant à moi par mon nom. Je ne sais pas comment il lâa appris, car il nâa jamais semblé remarquer que je le suivais. Lorsque je lui ai demandé comment il se trouvait quâil connaisse mon identité, il est devenu grossier, et je suis parti. Je nâai pas de sympathie particulière pour lui, mais certains disent quâil a un esprit hors du commun. Jâavoue quâil nâest pas comme tout le monde, mais câest peut-être le seul compliment que je puisse lui faire.  »
à côté de la carte de la concession de Warm, Morris avait griffonné la silhouette de lâhomme  ; mais le trait était si maladroit que je nâaurais pas reconnu Warm même sâil sâétait trouvé à côté de moi. Jâen fis la remarque à Charlie, qui déclara, «  Morris nous attend dans un hôtel à San Francisco. Il nous montrera Warm et nous poursuivrons notre chemin. Il paraît que câest un bon endroit pour tuer quelquâun. Lorsquâils ne sont pas occupés à réduire la ville en cendres, les travaux de reconstruction retiennent toute leur attention.
â Pourquoi est-ce que Morris ne le tue
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