Les Frères Sisters
décidé que lâor était un trésor suffisant.
«  Warm est mort, dis-je à Charlie.
â Je vais dormir  », dit-il.
Et vous savez quoi  ? Câest exactement ce quâil fit.
Â
Jâenterrai Warm le lendemain matin, sans lâaide de Charlie, même si une fois encore il me gratifia de sa présence irascible au moment de mettre le corps en terre. Lâunique sac de Warm était rempli de journaux et de papiers, et je les parcourus à la recherche de la recette de la solution, mais ne pus quasiment rien comprendre à ce quâil avait griffonné, non parce que jâignorais la science et la chimie, mais parce que lâécriture de lâhomme était illisible. Je finis par abandonner, et posai le tout sur sa poitrine avant de recouvrir le cadavre de sable et de terre. Je mâabstins de faire un discours cette fois, et décidai de ne pas mettre de croix sur les deux tombes qui étaient côte à côte, ce que jâai depuis regretté de ne pas avoir fait pour que demeure une sorte de trace de lâamitié qui les avait unis aussi bien que de ce quâils avaient accompli sur le site de la rivière. Mais je me sentais mélancolique, obscurément maudit par le sort et prisonnier, et je ne voulais quâune seule chose  : quitter cet endroit  ; ainsi, dès que jâeus fini dâenterrer Warm, Charlie et moi montâmes à cheval et partîmes, abandonnant la tente et le feu encore allumé derrière nous. Je me retournai pour regarder le campement et songeai, Jamais je ne serai un meneur dâhommes, et je nâai aucune envie de lâêtre  ; mais je ne souhaite pas non plus être mené. Je veux rester maître de moi-même. Afin quâils ne meurent pas de faim, jâavais détaché le cheval de Warm et les mulets. Le cheval ne bougea pas mais les mulets se mirent à nous suivre. Je tirai en lâair pour les disperser, et ils sâenfuirent vers la rivière. Ils ne portaient rien sur le dos et nâavaient aucun marquage, et leurs jambes courtaudes sâagitaient dâavant en arrière à une telle vitesse que je fus traversé dâune impression dâirréalité.
Nous prîmes la direction du nord-ouest et arrivâmes à Mayfield trois jours plus tard. Au cours du voyage, Charlie et moi échangeâmes peu de mots, même si, lorsque nous parlions, nous restions courtois et aimables lâun envers lâautre. Je crois quâil se demandait qui il allait devenir  ; et, dâune certaine manière, je me posais la même question. En repensant aux jours qui venaient de passer, je songeai, Si je dois effectivement mâarrêter de travailler pour le Commodore, autant tirer ma révérence à lâoccasion de cette affaire ô combien spectaculaire. Je décidai de rendre visite à ma mère dès que je le pourrais, si elle était toujours en vie  ; et je connus avec elle de nombreuses réconciliations imaginaires, qui, toutes, sâachevaient sur le geste de son bras tordu venant ceindre mon cou pour mâembrasser, juste sous lâÅil, à la limite de la barbe. Ces pensées mâapaisèrent, et le voyage jusquâà Mayfield, malgré nos récentes difficultés, fut aussi agréable que possible. à mi-chemin, je dis à Charlie, «  De toute façon, ta main gauche est plus rapide que la main droite de la plupart des hommes.
â La plupart, mais pas tous  », répondit-il, et le silence retomba.
Je me sentais partagé par rapport aux Indiens qui avaient volé notre or. Il semblait normal, en quelque sorte, que nous ne possédions plus ces richesses. Nâavais-je pas éprouvé une pointe de remords lorsque jâavais soulevé ce seau  ? Mais je ne crois pas que jâaurais été capable de philosopher avec un tel détachement si un autre tas dâor ne nous avait pas attendus sous le poêle à Mayfield, une somme qui représentait pour moi la possibilité de changer tout ce que je désirais dans ma vie. Câest pourquoi, lorsque je sentis une odeur de fumée alors que nous étions à deux ou trois kilomètres de la ville, je fus pris dâune terrible appréhension. Tandis que Charlie et moi nous approchions de lâhôtel, je passai de lâinquiétude à la colère, pour
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