Les Frères Sisters
pas lui-même  ?
â Tu poses toujours cette question, et je te réponds toujours la même chose  : parce que ce nâest pas son travail, câest le nôtre.
â Câest idiot. Le Commodore diminue mes gages mais paie ce balourd pour que Warm sache quâil est suivi.
â Tu ne peux pas traiter Morris de balourd, mon frère. Câest la première fois quâil fait une erreur, ce quâil a admis ouvertement. Je crois que le fait quâil ait été démasqué en dit plus sur Warm que sur lui.
â Mais Warm passe ses nuits dans la rue. Quâest-ce qui empêche Morris de lui tirer dessus pendant son sommeil  ?
â Peut-être parce que ce nâest pas un tueur.
â Mais alors, pourquoi lâenvoyer  ? Pourquoi est-ce quâil ne nous a pas envoyés là -bas il y a un mois à sa place  ?
â Il y a un mois, nous étions sur une autre affaire. Tu oublies que le Commodore a de nombreuses responsabilités, et quâil ne peut pas sâoccuper de tout à la fois. âà travail bâclé, mauvais résultats.â Ce sont ses mots. Il suffit de voir le succès quâil a pour se rendre compte de leur vérité.  »
Jâen étais malade de lâentendre citer le Commodore avec autant dâadmiration. Je dis, «  Ãa va nous prendre des semaines pour aller jusquâen Californie. Pourquoi faire le voyage si ce nâest pas nécessaire  ?
â Mais câest nécessaire. Câest ce quâon nous demande.
â Et si Warm nây est plus  ?
â Il y sera.
â Et sâil nây est pas  ?
â Il y sera, bon sang.  »
Au moment de payer, je désignai Charlie du doigt. «  Câest pour le chef.  » Dâhabitude nous partageons lâaddition, donc Charlie nâétait pas très content. Mon frère a toujours été radin, il tient ça de notre père.
«  Ãa va pour cette fois, dit-il.
â Le chef et son salaire de chef.
â Tu nâas jamais aimé le Commodore. Et il ne tâa jamais aimé non plus.
â Et je lâaime de moins en moins, ajoutai-je.
â Libre à toi de le lui dire, si cela devient insupportable.
â Tu le sauras, Charlie, si câest le cas. Tu le sauras, et lui aussi.  »
Nous aurions pu continuer à nous chamailler, mais je quittai mon frère pour regagner ma chambre à lâhôtel en face du saloon. Je nâaime pas me disputer, surtout avec Charlie car il est capable de se montrer dâune cruauté verbale hors du commun. Plus tard dans la nuit, je lâentendis parler dans la rue avec des hommes, et je tendis lâoreille pour mâassurer quâil nâétait pas en danger  ; ce nâétait pas le cas. Les hommes lui demandèrent son nom, il leur répondit et ils le laissèrent tranquille. Je serais allé lui prêter main-forte en cas de besoin, dâailleurs, jâétais en train dâenfiler mes bottes quand le groupe se dispersa. Lorsque jâentendis Charlie gravir lâescalier, je sautai dans mon lit et fis semblant de dormir. Il passa la tête dans lâentrebâillement de la porte et prononça mon nom, mais je ne répondis pas. Il referma et se rendit dans sa chambre, et je restai dans le noir à songer à quel point les histoires de famille peuvent être insensées et tordues.
Â
Le lendemain matin il pleuvait, une pluie constante et froide qui transformait les routes en marécages. Lâeau-de-vie ayant retourné lâestomac de Charlie, je me rendis chez lâapothicaire afin dâobtenir un remède contre la nausée. On me donna une poudre bleu Åuf-de-merle inodore que je mélangeai à son café. Je ne sais pas ce quâil y avait là -dedans, mais une chose est sûre  : cette potion le sortit du lit, le mit à cheval et lui prodigua une vitalité confinant à lâégarement. Nous nous arrêtâmes pour nous reposer à une trentaine de kilomètres de la ville, dans une partie désertique de la forêt sur laquelle la foudre était tombée lâété précédent et qui avait été ravagée par les flammes. Nous avions fini de déjeuner et étions sur le point de partir lorsque nous aperçûmes un
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