Les Frères Sisters
homme en train de marcher avec un cheval à une centaine de mètres de nous en direction du sud. Sâil avait été en selle, je ne crois pas quâil aurait attiré notre attention, mais câétait étrange de le voir mener son cheval par la bride comme ça. «  Pourquoi tu ne vas pas voir ce quâil fait, dit Charlie.
â Si le chef lâordonne  », rétorquai-je. Aucune réaction  : la plaisanterie commence à sâuser, me dis-je. Je décidai que je mâabstiendrais dorénavant de la faire. Jâenfourchai Tub et partis à la rencontre du marcheur. En approchant je remarquai quâil pleurait. Je mis pied à terre pour lâaborder. Je suis grand et costaud et jâai lâair plutôt rude, et je vis tout de suite que lâhomme avait pris peur en me voyant  ; pour le rassurer, je dis, «  Je ne vous veux aucun mal. Mon frère et moi sommes simplement en train de déjeuner. Et comme jâai préparé trop à manger je me demandais si vous aviez faim.  »
Lâhomme sâessuya le visage de la main, en respirant profondément et en frissonnant. Il essaya de me répondre â du moins ouvrit-il la bouche  â, mais il ne parvint à articuler aucun mot ni aucun son, visiblement trop bouleversé pour pouvoir sâexprimer.
Je poursuivis  : «  Je vois bien que vous êtes malheureux et que vous souhaitez sans doute poursuivre seul votre route. Je vous prie de mâexcuser, je ne voulais pas vous déranger, et jâespère que les choses vont sâarranger pour vous.  » Je remontai sur Tub et repartis en direction de notre bivouac. Jâétais à mi-chemin lorsque je vis Charlie se lever et braquer son pistolet dans ma direction. Je me retournai et me rendis compte que lâhomme en pleurs galopait vers moi  ; comme il ne semblait pas me vouloir de mal, je fis signe à Charlie de baisser son arme. Arrivé à ma hauteur, lâhomme en pleurs me lança, «  Jâaccepte votre proposition.  » Lorsque nous arrivâmes au campement, Charlie se saisit de la bride du cheval de lâhomme et déclara, «  Vous ne devriez pas poursuivre quelquâun de la sorte. Jâai pensé que vous en vouliez à mon frère, et jâétais sur le point de vous tuer.  » Lâhomme en pleurs balaya dâun geste dédaigneux de la main la remarque de Charlie. Surpris, mon frère me regarda, et me demanda, «  Qui est cet individu  ?
â Il était malheureux, et je lui ai proposé de partager notre nourriture.
â Il ne reste que des petits pains.
â Je refais à manger, alors.
â Non.  » Charlie regarda lâhomme en pleurs de bas en haut. «  Effectivement, il nâa pas lâair à la fête, hein  ?  »
Lâhomme en pleurs sâéclaircit la gorge avant de parler. «  Câest très mal élevé de parler dâune personne en sa présence comme si elle nâétait pas là .  »
Charlie ne savait pas sâil devait rire ou le frapper. Il se tourna vers moi  : «  Il est fou  ?
â Je vous prie de surveiller vos propos, dis-je à lâinconnu. Mon frère ne se sent pas bien aujourdâhui.
â Je vais parfaitement bien, dit Charlie.
â Il est moins charitable quâà son habitude, ajoutai-je.
â Il a lâair malade, dit lâhomme en pleurs.
â Jâai dit que jâallais bien, sacrebleu  !
â Il est malade, mais légèrement, dis-je, conscient que la patience de Charlie touchait à sa fin. Je pris quelques petits pains et les donnai à lâhomme en pleurs. Il les contempla un long moment, puis se remit à pleurer avec force quintes de toux, reniflements et frissons à faire pitié. Je dis à Charlie, «  Il était comme ça quand je lâai trouvé.
â Quâest-ce qui lui est arrivé  ?
â Il ne mâa pas dit.  » Je demandai à lâhomme en pleurs, «  Monsieur, que vous arrive-t-il  ?
â Ils sont partis  ! sâexclama-t-il. Ils sont tous partis  !
â Qui est parti  ? demanda Charlie.
â Partis sans moi  ! Et moi je voulais partir aussi  ! Ãtre avec eux  !  »
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