Les Frères Sisters
je nâai quâune envie, câest de mâallonger et de dormir, et câest exactement ce que je fis, sans même avaler un repas digne de ce nom. Le lendemain matin, en enfilant mes bottes, je ressentis une douleur aiguë au gros orteil gauche. Jâenlevai ma botte et la secouai. Je mâattendais à en voir tomber une ortie lorsquâune énorme araignée poilue atterrit sur le dos, ses huit pattes gigotant dans lâair froid. Mon cÅur sâemballa, et je fus pris dâun étourdissement car jâai terriblement peur des araignées, des serpents et des choses qui rampent en général, et Charlie, le sachant, se précipita à la rescousse en jetant la créature dans le feu à lâaide de son couteau. Je regardai lâaraignée se recroqueviller sur elle-même et mourir, partant en fumée telle une boule de papier, et me réjouis de sa souffrance.
Un frisson glacial me parcourait à présent le tibia et je dis, «  Câétait un petit animal puissant, mon frère.  » La fièvre sâempara alors de moi dâun coup, et je dus mâallonger. Mon teint blafard plongea Charlie dans lâinquiétude  ; lorsque je mâaperçus que je ne pouvais plus parler, il raviva le feu et partit à cheval vers la ville la plus proche pour aller chercher un médecin, quâil ramena contre ou, du moins, partiellement contre, son gré. Jâétais dans le brouillard, mais je me souviens des jurons quâil poussait dès que Charlie sâéloignait. Il me donna un remède contre le venin dont certains ingrédients qui me firent tourner la tête tout en me rendant aussi guilleret que si jâavais été ivre. Tout ce que je voulais, câétait pardonner à la terre entière et fumer du tabac sans discontinuer. Je tombai très vite dans un sommeil profond, et restai inconscient jusquâau matin suivant. à mon réveil, Charlie se tenait toujours près du feu. Il me regarda et sourit.
«  Te souviens-tu de ce dont tu rêvais à lâinstant  ? demanda-t-il.
â Seulement que jâétais enfermé, répondis-je.
â Tu nâarrêtais pas de dire, âJe suis dans la tente  ! Je suis dans la tenteâ  !
â Je ne mâen souviens pas.
â âJe suis dans la tente  !â
â Aide-moi à me lever.  »
Il obtempéra, et je parcourus le campement sur des jambes raides comme du bois. Jâétais légèrement nauséeux  ; néanmoins je réussis à manger un repas complet â bacon, café, petits pains  â sans vomir. Je décidai que je me sentais suffisamment bien pour voyager, et nous partîmes tranquillement à cheval. Au bout de quatre ou cinq heures, nous fîmes halte de nouveau. Charlie me demandait constamment comment je me sentais, et, chaque fois, je mâefforçais de lui répondre, mais en vérité je ne le savais pas exactement. Ãtait-ce le venin de lâaraignée ou le remède antipoison de lâacariâtre médecin  ? Quoi quâil en fût, je ne me sentais pas occuper mon corps pleinement. Je passai une nuit agitée et fébrile, et, au matin, quand je me tournai pour saluer Charlie, il me regarda et poussa un cri dâeffroi. Je lui demandai ce qui nâallait pas, et il me tendit une assiette en étain pour que je puisse me regarder dedans.
«  Quâest-ce que câest que ça  ? mâexclamai-je en me voyant.
â Câest ta tête, mon ami.  » Il eut un petit mouvement de recul, et siffla.
Le côté gauche de mon visage était enflé de manière grotesque, du haut du crâne jusquâau cou. Je pouvais à peine ouvrir mon Åil, et Charlie, retrouvant son sens de lâhumour, déclara que je ressemblais à une espèce de chien et lança un bâton pour voir si jâirais le chercher. Je localisai lâorigine du gonflement au niveau des dents et des gencives, et quand je tapotai dâun doigt mes dents du bas, à gauche, une violente douleur vibra à travers tout mon corps.
«  Tu dois avoir trois bons litres de sang là -dedans, dit Charlie.
â Où lâas-tu trouvé, ce médecin  ? Nous devrions retourner le voir et lui demander de me crever cet abcès.  »
Charlie secoua la
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