Les Frères Sisters
dit, «  Cela dépend entièrement de la somme que vous allez mâautoriser à garder.
â à garder  ?  » demanda Charlie en haussant les sourcils. Il était en train de passer en revue les tiroirs du bureau de Mayfield. «  Je croyais quâil était clair quâil ne vous resterait plus rien.  »
Mayfield souffla. «  Rien du tout. Vous voulez dire absolument rien  ?  »
Charlie me regarda. «  Ce nâest pas ce qui était prévu  ?  »
Je répondis, «  Si je ne me trompe pas, nous avions prévu de le tuer. Maintenant que nous avons modifié ce détail, nous pouvons au moins aborder cette nouvelle question. Jâavoue que cela semble cruel de le laisser sans un sou.  »
Les yeux de Charlie sâassombrirent, et il se replia sur lui-même. Mayfield commença  : «  Vous me demandiez ce que je pensais. Eh bien, je vais vous le dire. Je me disais quâun homme comme moi, après avoir essuyé un revers tel que celui que vous venez de mâinfliger, nâa que deux possibilités pour continuer à exister. Soit il poursuit sa vie, le cÅur blessé, et fait part à qui veut lâentendre de sa folle haine  ; ou bien il recommence à zéro, le cÅur vide, en veillant à ne remplir, dorénavant, ce dernier que de choses dignes, afin dâalimenter son esprit ravagé et cultiver le positif.
â Est-ce quâil invente tout ça au fur et à mesure  ? demanda Charlie.
â Je vais choisir la deuxième option, poursuivit Mayfield. Je suis un homme qui doit reconstruire, et la première chose à laquelle je vais travailler, câest à être résolu. Je vais me rappeler à moi-même qui je suis, ou qui jâétais, car je crains que ma vie douillette ici ne mâait rendu paresseux. Je dois dire que la facilité avec laquelle vous avez pris le dessus sur moi en est la preuve.
â Il confond oisiveté et couardise avec paresse, dit Charlie.
â Et avec cinq morts sur le carreau, ajoutai-je, il prétend quâil nous a été facile de faire main basse sur sa fortune.
â Il a du mal à trouver le mot juste  », dit Charlie.
Mayfield continua  : «  Jâespère, et je vous le dis, messieurs, sans ambages, que vous me laisserez suffisamment dâargent pour me permettre de me rendre à Oregon City, où jâai lâintention dâaller de ce pas, afin dâanéantir ce sous-homme à la lame en forme de faux, James Robinson.  »
à ces mots mon frère et moi fûmes traversés de la même pensée diabolique.
«  Câest parfait, nâest-ce pas  ? dit Charlie.
â Mais câest trop tragique, répondis-je.
â Vous protégeriez ce criminel après mâavoir fait ce que vous mâavez fait  ? lança Mayfield avec indignation. Ce nâest que justice que vous mâaidiez à arriver à mes fins. Vous allez me prendre tout ce que je possède, mais vous pourriez vous racheter, du moins en partie, si seulement vous me laissiez une portion de ma fortune.  »
Ce discours suffisant scella son destin. Nous nous mîmes dâaccord pour donner cent dollars à Mayfield, afin de lui permettre de rallier Oregon City, dâoù il ne pourrait repartir, et où la première personne à qui il le demanderait, lâinformerait du décès de Robinson  ; il comprendrait alors que nous étions au courant, et se rappellerait avec colère et amertume notre air amusé. Nous le payâmes avec de lâor poinçonné que nous prélevâmes directement dans son coffre qui se trouvait dans le sous-sol de lâhôtel. Devant la porte ouverte, Mayfield déclara, «  Câest la seule fois où jâai eu de la chance dans toute ma vie. Jâai pu remplir un coffre dâor et de billets. En tout cas, la plupart des gens ne peuvent pas en dire autant.  » Il hocha la tête solennellement, mais son ton bravache céda bientôt la place à une émotion débridée  ; son visage sâaffaissa, et des larmes jaillirent dans ses yeux. «  Mais, dieux du ciel, que la chance est difficile à conserver  !  » sâexclama-t-il, avant de sâessuyer le visage et de jurer avec une tranquille
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