Les Frères Sisters
fait, il lâétala à plat, telle une nappe, sur sa tête et, comme il était chauve, le sang fit adhérer le mouchoir à son crâne. Quâest-ce qui lui prenait de faire ça  ? Sâagissait-il dâune inspiration soudaine  ? Ou de quelque chose quâil avait appris quelque part  ? Mayfield nous observait dâun air maussade. Il ne portait quâune seule botte, et je remarquai que son pied nu était rouge, et ses orteils enflés. Je dis, «  Des engelures, Mayfield  ?
â Quâest-ce que câest que ça  ?
â Câest comme ce que vous avez aux pieds.
â Je ne sais pas ce que jâai, justement.
â Je crois que ce sont des engelures  », dis-je.
Charlie claqua des doigts, à la fois pour me faire taire et pour regagner lâattention de Mayfield. «  Si vous ne me répondez pas cette fois, dit-il, je vous frappe deux fois.
â Vous ne partirez pas avec tout, dit Mayfield.
â Où est le coffre  ?
â Jâai travaillé pour gagner cet argent. Il nâest pas à vous.
â Très bien.  » Et Charlie donna deux coups de crosse à Mayfield qui se plia à nouveau en deux sur le canapé en poussant des gémissements plaintifs. Charlie nâavait pas enlevé le mouchoir avant de le frapper, et les coups rendirent un désagréable son spongieux. Il le redressa à nouveau. Les mâchoires de Mayfield étaient crispées, il haletait et il avait la tête entièrement couverte de sang  : le mouchoir lui-même dégoulinait. Il avançait méchamment sa lèvre inférieure pour avoir lâair courageux, mais ne réussit quâà avoir lâair ridicule avec ses allures de morceau de viande à lâétal dâun boucher, tant le sang qui lui coulait le long du menton et du cou imbibait son col. Charlie dit, «  Mettons les choses au clair. Vous nâavez plus dâargent. Câest aussi simple que ça, un état de fait, et si vous luttez contre, nous vous tuerons,
après quoi
nous trouverons votre coffre. Je veux que vous réfléchissiez  : pourquoi devriez-vous vous faire malmener et mourir pour quelque chose qui est déjà acquis  ? Pensez-y. Votre attitude est absurde.
â Vous allez me tuer dâune manière ou dâune autre.
â Ce nâest pas nécessairement vrai, dis-je.
â Absolument, ajouta Charlie.
â Vous me donnez votre parole  ?  » demanda Mayfield.
Charlie mâinterrogea du regard  :
Lui laissons-nous la vie sauve
Â
?
Et mes yeux lui répondirent,
Je mâen moque.
Il dit, «  Si vous nous donnez lâargent, nous vous laisserons comme nous vous avons trouvé, en vie.
â Jurez-le.
â Je le jure  », dit Charlie.
Mayfield lâobserva, comme sâil cherchait quelque signe de malveillance. Rassuré, il me regarda. «  Vous le jurez aussi  ?
â Si mon frère le dit, câest que câest vrai. Mais si vous voulez que je jure que je ne vous tuerai pas, eh bien, je le jure.  »
Mayfield ôta le mouchoir imbibé de sang et le jeta par terre  ; au son que cela fit en atterrissant, il eut un air de dégoût. Puis il réajusta son gilet et se leva en titubant avant de se rasseoir, ayant manqué sâévanouir sous lâeffort. «  Jâai besoin de boire un verre, et de quelque chose pour nettoyer ma tête. Je nâai pas envie de traverser mon hôtel avec lâair que jâai.  » Je lui versai un grand verre dâeau-de-vie, quâil avala en deux longues gorgées. Charlie disparut dans les cabinets et en ressortit avec des serviettes, un bol dâeau et un miroir quâil plaça sur la table basse devant Mayfield. Nous le regardâmes se nettoyer. Son visage nâexprimait aucune émotion, et jâéprouvai soudain pour lui une sourde admiration. Il était sur le point de perdre toutes ses économies et son or, et pourtant, il avait lâair aussi indifférent quâun homme en train de se raser. Jâétais curieux de savoir à quoi il songeait, et je lui posai la question  ; lorsquâil me dit quâil pensait à lâavenir, je lui demandai de mâen dire davantage. Il posa le miroir à lâenvers sur la table, et
Weitere Kostenlose Bücher