Les Frères Sisters
une tête rectangulaire en poils drus gris et blancs. «  Une brosse à dents, dit-il. Grâce à elle, vos dents resteront propres, et votre haleine agréable. Tenez, regardez-moi.  » Le dentiste me montra comment utiliser correctement lâustensile, puis souffla sur mon visage de lâair parfumé à la menthe. Il me tendit alors une nouvelle brosse, identique à la sienne, ainsi quâune petite boîte de poudre, qui produisait cette mousse à la menthe, en me disant que je pouvais les garder. Je protestai, mais il mâavoua que câétait un cadeau du fabricant. Je le payai deux dollars pour lâextraction de mes dents, et il sortit une bouteille de whisky pour célébrer ce quâil appela notre mutuelle et bénéfique transaction. Dans lâensemble, je trouvai lâhomme très charmant, et je me sentis plein de remords lorsque Charlie fit irruption dans le bureau, le pistolet braqué sur le bon docteur. «  Jâai essayé de négocier avec vous, dit-il, le visage cramoisi sous lâeffet de lâeau-de-vie.
â Je me demande quel sera mon prochain échec, dit Watts tristement.
â Je ne sais pas et je mâen moque. Eli, prends le médicament qui insensibilise, et les aiguilles. Watts, trouvez-moi une corde, et vite. Et ne faites pas le malin avec moi, sinon je vous fais un trou dans la tête.
â Je me demande parfois sâil nây en a pas déjà un.  » Et, sâadressant à moi, il ajouta, «  La quête dâargent et de confort mâa épuisé. Prenez soin de vos dents, fiston. Gardez une bouche bien saine. Vos paroles nâen seront que plus douces, nâest-ce pas  ?  »
Charlie asséna un coup à Watts sur lâoreille, mettant ainsi un terme à son discours.
Â
Nous avions chevauché jusquâau soir, lorsque jâeus un vertige au point que je craignis de tomber de ma selle. Je demandai à Charlie si nous pouvions nous arrêter pour la nuit, et il accepta, à condition toutefois que nous trouvions un endroit à lâabri pour dormir, car la pluie menaçait. Il huma lâodeur dâun feu dans lâair, et cherchant son origine, nous arrivâmes devant une petite cabane dont la cheminée laissait échapper en spirales une fine colonne de fumée, et à travers lâunique fenêtre de laquelle dansait une faible lueur. Une vieille femme emmitouflée dans des guenilles ouvrit la porte. Elle avait de longs poils gris qui tremblotaient sur son menton, et sa bouche à la mâchoire pendante nâétait que chicots noirâtres. Charlie, serrant son chapeau dans ses mains, évoqua nos récentes déconvenues dâune voix théâtrale. Les yeux dâhuître de la femme se posèrent sur moi. Son regard me glaça instantanément. Elle sâéloigna de la porte sans un mot. Jâentendis une chaise quâon traînait sur le sol. Charlie se tourna vers moi et me demanda, «  Quâen penses-tu  ?
â Poursuivons notre chemin.
â Elle nous a laissé la porte ouverte.
â Il y a quelque chose chez cette femme qui ne tourne pas rond.  »
Il donna un coup de pied dans un petit amas de neige. «  Elle sait comment faire un feu. Que veux-tu de plus  ? Nous nâallons pas nous installer chez elle indéfiniment.
â Je crois quâon devrait poursuivre notre chemin, répétai-je.
â La porte  ! cria la femme.
â Quelques heures dans une pièce chauffée me feraient le plus grand bien, dit Charlie.
â Câest moi qui suis malade, rétorquai-je, et je préfère partir.
â Et moi, rester.  »
Lâombre de la femme glissa sur le mur du fond de la cabane, et elle réapparut sur le seuil de la porte. «  La porte  ! hurla-t-elle. La porte  ! La porte  !
â Tu vois bien quâelle souhaite que nous entrions  », dit Charlie.
Oui, me dis-je intérieurement, elle veut surtout nous faire entrer dans sa bouche et dans son estomac. Mais jâétais trop faible pour lutter plus longtemps, et lorsque mon frère me prit par le bras pour me faire pénétrer dans la cabane, je ne résistai pas.
Il y avait dans la pièce une table, une chaise, et un matelas sale. Charlie et moi nous assîmes devant la
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