Les Frères Sisters
pénétrait dans la bouche de Charlie  ; et moi, non pas mon moi endormi mais celui qui observait, je me mettais à hurler pour quâelle le laisse tranquille. Sur ce, le rêve sâinterrompit brutalement, et je me réveillai. Charlie était près de moi, et me regardait les yeux ouverts bien quâendormi, comme il en avait lâagaçante habitude. La vieille femme était assise derrière lui, et son tas de petites perles avait beaucoup diminué  : un long moment sâétait écoulé. Elle ne quittait pas la table, mais sa tête était complètement retournée dans la direction opposée, et elle scrutait le coin sombre au fond de la pièce. Je ne sais pas ce qui avait attiré son attention, mais elle resta ainsi pendant si longtemps que je cessai de mâinterroger, et reposai ma tête sur le sol. En un clin dâÅil, je dormais profondément à nouveau.
Â
Le lendemain matin je me réveillai par terre, et Charlie nâétait plus à côté de moi. Jâentendis un bruit de pas dans mon dos, me tournai et le vis debout devant la porte ouverte, en train de regarder le champ devant la cabane. La journée était ensoleillée, et jâaperçus au loin les chevaux attachés aux racines dâun arbre mort. Nimble cherchait dans le givre quelques touffes dâherbe  ; Tub frissonnait en regardant dans le vide. «  La femme est partie, dit Charlie.
â Ce nâest pas pour me déplaire, répondis-je en me levant. La pièce sentait les cendres et le charbon, et les yeux me brûlaient. Pris dâun besoin pressant, je mâapprêtais à sortir quand Charlie me bloqua le passage. Ses traits étaient creusés et fatigués. «  Elle est partie, dit-il, mais elle nous a laissé quelque chose qui ressemble à un souvenir.  » Il tendit le doigt et je suivis du regard la direction quâil indiquait. La femme avait accroché le collier de perles autour de lâencadrement de la porte.
Je serai plus ou moins partie,
avait-elle dit â plus ou moins, mais pas tout à fait.
«  Quâen penses-tu  ?  » demandai-je.
Charlie dit, «  Que ce nâest pas là pour décorer.
â On pourrait lâenlever  », dis-je en tendant la main.
Charlie me prit le bras. «  Nây touche pas, Eli.  »
Nous reculâmes de quelques pas pour observer la situation, et réfléchir. Les chevaux avaient entendu nos voix et nous regardaient. «  Il ne faut surtout pas passer dessous, dit Charlie. La seule chose à faire, câest de casser le carreau et de sortir par la fenêtre.  » Tout en tâtant mon ventre, lequel est et a toujours été proéminent, je dis que je ne pensais pas pouvoir me faufiler par une si petite ouverture. Charlie tenta de me convaincre dâessayer, mais lâidée de ne pas y arriver â dâavoir à faire marche arrière, le visage cramoisi une fois engagé dans le trou  â me rebuta, et je refusai.
«  Dans ce cas, jâirai seul, dit Charlie, et je reviendrai avec des outils pour agrandir le passage.  » Debout sur la chaise branlante de la vieille femme, il brisa la vitre avec le manche de son revolver, et je le poussai par la fenêtre. Puis nous nous fîmes face, de part et dâautre de la porte. Il souriait, moi non. «  Et voilà le travail  !  » dit-il en enlevant dâun revers de la main les éclats de verre sur son ventre.
Je dis, «  Je nâaime pas ça. Partir dans la nature en espérant trouver une âme charitable qui voudra bien te prêter ses outils. Tu erreras sans but tandis que je me morfondrai dans ce taudis. Et si la vieille revenait  ?
â Elle nous a laissé ses grigris de mauvais augure. Elle nâa aucune raison de revenir.
â Facile pour toi de le dire.
â Je crois que câest vrai. Et que puis-je faire dâautre  ? Si tu as une autre idée, câest le moment de mâen faire part.  »
Mais je nâen avais point. Je lui demandai de mâapporter mon sac de nourriture, et il sâéloigna vers les chevaux. «  Nâoublie pas de me prendre une marmite  », criai-je. «  Un ermite  ?  » fit-il. «  Une marmite  ! Une marmite  !  » Je
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