Les Frères Sisters
gouttes de sang quâil avait laissée derrière lui, et elle me mena au sommet de la petite colline au pied de laquelle notre campement était installé  ; Tub était tombé de lâautre côté dans un dénivelé presque à la verticale, en glissant sur une cinquantaine de mètres entraîné par son propre poids avant dâatterrir au pied dâun séquoia géant. Il était couché sur le dos, les sabots pointant vers le ciel de façon ignoble, et je me dis, Quelle triste vie ont nos animaux. Que de douleurs, de coups et de cruauté. Je songeai à descendre pour vérifier sâil respirait encore, car, si cela avait été le cas, il eût fallu lâabattre, mais il était parfaitement immobile, et sa mort ne faisait aucun doute. Je fis demi-tour et retournai au campement où Charlie était en train de compter ses munitions.
La mort de Tub servit au moins à dissiper la contrariété de Charlie, tant il se souciait de mon bien-être. Il prononça des paroles chaleureuses, me promit dâacheter un nouveau cheval à deux, un animal qui serait au moins aussi vif que Nimble. Je me laissai consoler, et restai solennel et pensif, mais en vérité je nâétais pas particulièrement triste de la mort de Tub. à présent quâil nâétait plus, câétait comme si mon affection pour lui avait disparu, et il me tardait de poursuivre ma vie sans lui. Câétait un animal qui avait du cÅur, mais il avait sans nul doute été un fardeau pour moi  ; nos existences ne nous avaient pas permis dâêtre de bons partenaires. Des mois plus tard, je devins sentimental en pensant à lui, et cette émotion mâhabite encore aujourdâhui, mais, à lâépoque de sa disparition jâen fus tout simplement soulagé.
«  Prêt  ?  » demanda Charlie.
Jâacquiesçai. Même si je connaissais la réponse, je demandai néanmoins, «  Comment allons-nous procéder  ?
â Par la force, dit-il.
â Ils savent sans aucun doute que nous aurions pu les tuer mais que nous ne lâavons pas fait.
â Je les aurais tués, si tu ne tâétais pas interposé.
â Oui, mais eux, ils croient peut-être quâon a choisi de ne pas le faire.  » Face à la totale absence de réaction de Charlie, je suggérai bêtement, «  Et si nous nous rendions à leur campement sans armes, les mains en lâair  ?
â Je ne daignerai pas prendre en compte une telle proposition.
â Je veux seulement discuter de toutes les possibilités.
â Il nây en a que deux. Soit les laisser tranquilles soit retourner les voir. Et si nous leur rendons visite à nouveau, la force sera nécessaire. Ils nous auraient tués tout à lâheure, sâils nâavaient pas été si maladroits, et maintenant ils nâhésiteront plus. Morris sera armé, et il nây aura pas de discussion possible entre nous.  » Il secoua la tête. «  La force est notre seule solution, mon frère.
â Et si nous retournions à Mayfield, hasardai-je.
â Nous avons déjà parlé de ça, mâinterrompit Charlie. Si tu veux y aller, vas-y, mais tu devras marcher jusquâà Sacramento pour te trouver un nouveau cheval. Câest à toi de voir. Jâirai au bout de cette affaire avec ou sans toi.  »
Je décidai alors dâaccompagner Charlie. Je pensai, Il a raison. Nous avons essayé de pénétrer dans leur campement pacifiquement, mais ils nâont pas voulu de nous. Je ne pouvais demander à mon frère de faire montre de davantage dâindulgence, et lâoccasion de voir la rivière illuminée était trop exceptionnelle pour ne pas la saisir. En mon for intérieur je me dis que ce serait peut-être la dernière fois de ma vie que du sang serait versé par mes mains. Je fis part de ce sentiment à Charlie, et il me répondit que si cela pouvait me rassurer, je nâavais quâà continuer à y croire. «  Mais, ajouta-t-il, tu oublies le Commodore.
â Ah oui, bien sûr. Après lui, alors.  »
Charlie marqua une pause. «  Et il nous faudra sans doute en tuer quelques autres après la mort du Commodore. On sera accusés, et il faudra régler
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