Les Frères Sisters
des comptes, ce genre de choses. Ãa représente pas mal de sang versé, en fait.  »
Je pensai, Eh bien, ce sera la dernière période de sang versé de ma vie.
«  Il commence à faire nuit, dit Charlie. On devrait y aller maintenant, au cas où ils auraient prévu de battre en retraite. On va sâapprocher en les contournant par la colline à lâest. Ãa ira tout seul, tu verras. Il se mit à uriner sur le feu. La lueur des flammes mourantes se reflétait sur ses joues et son menton. Il était dâhumeur joyeuse. Charlie nâétait jamais plus heureux que lorsquâil avait quelque chose à faire.
Â
Nous contournâmes le campement de Warm et Morris en traversant la rivière à un kilomètre en amont et en revenant sur nos pas, pour grimper au sommet de la haute colline qui surplombait leur bivouac. à travers les arbres on distinguait les braises rougeoyantes de leur feu, et on apercevait les barriques de solution posées au bord de lâeau, dont lâune était ouverte et vide tandis que les autres étaient intactes. Leurs animaux étaient là , mais il nây avait aucune trace des deux hommes. Je supposai quâils étaient cachés derrière leur tente ou quelque part dans les bois, non loin, armés et prêts au combat. Morris, me disais-je, devait probablement être en train de se repentir et de prier avec ferveur  ; quand à Warm, même si je ne le connaissais pas beaucoup, je décidai quâil était plus audacieux, plus intrépide, et que, convaincu de son bon droit, il irait au bout de son aventure, coûte que coûte. Mais quoi quâil en soit, ils étaient invisibles, et leur campement était aussi silencieux quâun tombeau.
En revanche, une mystérieuse activité nocturne agitait le barrage  : les castors, nombreux, gros, avec leur pelage luisant sous la lueur laiteuse de la lune, allaient et venaient sans cesse  : ils plongeaient, nageaient, émergeaient, tout en poussant des grognements sourds, comme sâils se lamentaient ou peut-être sâencourageaient mutuellement  ; ils sillonnaient la rive en tirant des brindilles et des branchages vers la rivière pour les emporter ensuite jusquâau barrage, au sommet duquel trônait le plus gros dâentre tous, qui observait les autres, comme sâil supervisait leurs efforts. «  Celui-là , câest le patron  », dis-je à Charlie. Il les avait observés lui aussi, et acquiesça.
Le castor costaud quitta le barrage dâun pas lourd, et se dirigea vers la rive, sur laquelle il marcha dâabord avec précaution, comme sâil craignait que le sol ne supportât pas son poids. Mais son inquiétude fut de courte durée, et il pénétra dans le camp sans hésitation ni crainte, pour se rendre directement aux barriques de solution. Il enfonça sa tête dans celle qui était vide, et eut un mouvement de recul à cause de lâodeur, puis se tourna vers un des fûts pleins. Debout sur ses pattes arrière, il lâattrapa par le rebord avec ses dents, pour tenter de le faire tomber, et, jâimagine, pour lâemporter en le faisant rouler, jusquâà la rivière. Je trouvai la scène hilarante, mais Charlie lâobservait avec attention et une certaine inquiétude, car il savait que la curiosité malvenue des castors susciterait une réaction de Warm et Morris, pour autant quâils fussent en train dâobserver le spectacle. Et de fait nous entendîmes très vite des bruits sourds et lointains qui venaient du fond de la vallée. Charlie hocha la tête vigoureusement. «  Là  ! Tâas entendu  ?  » Le son se répéta plusieurs fois, et je discernai les formes sombres et floues de pierres qui volaient dans les airs en direction de lâobstiné rongeur, qui, entre-temps, avait réussi à renverser le fût. Nous localisâmes le point de départ des pierres, un bosquet dâarbres et dâarbustes à une vingtaine de mètres du campement, de notre côté de la rivière  : Warm et Morris étaient cachés au pied de la colline où nous nous trouvions, et, sans un mot, Charlie et moi commençâmes à descendre pour les surprendre par-derrière. «  Je mâoccupe de Morris, chuchota Charlie. Tiens Warm en joue, mais ne tire
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