Les Frères Sisters
coup de pied dans une barrique et déclara, «  Nous voudrions vous acheter du vin.
â Ce vin nâest pas à vendre.
â Nous sommes prêts à payer les prix pratiqués à San Francisco.  » Il secoua sa bourse, mais nâobtint aucune réponse, et il scruta la pénombre. «  Pourquoi vous cachez-vous dans lâombre comme ça  ? Vous avez peur de nous  ?
â Pas particulièrement, dit Warm.
â Dans ce cas, allez-vous sortir de là et nous parler dâhomme à homme  ?
â Non.
â Et vous refusez de nous vendre du vin  ?
â Câest exact.
â Et si je prends tout simplement une barrique  ?  »
Warm prit le temps de penser à une réponse. Finalement, il dit, «  Si vous faites ça, vous rentrez chez vous avec une couille en moins.  » Jâentendis clairement les éclats de rire hystériques de Morris  : cette dernière phrase lâavait atteint au plus profond de lui-même, et il était complètement submergé par son allégresse. Charlie sourit, et dit, «  Warm et Morris sont ivres  !  »
Les frères se regroupèrent sur la rive pour se parler en privé. Après leur petit conciliabule, le plus grand sâécarta des autres en hochant la tête et dit, «  On dirait que vous en avez bien profité ce soir, mais avant que le soleil ne se lève, votre euphorie va retomber, et vous sombrerez dans le sommeil. Câest à ce moment-là quâon reviendra, comptez sur nous. Et nous prendrons votre vin, et vos vies.  » Il ne reçut aucune réponse, ni rire ni réplique ironique, et il fit un pas sur la rive, le menton levé, dâun air hautain et théâtral. De toute évidence, il caressait un rêve dâomnipotence. Quoi quâil en soit, il sâétait exprimé avec suffisamment dâemphase pour décontenancer nos joyeux lurons  ; mais bientôt Morris et Warm échangèrent quelques mots, dâabord à voix basse, puis de plus en plus fort, car ils commençaient à se disputer avec virulence. La voix suppliante de Morris résonna clairement lorsquâil cria, «  Hermann, non  !  » Après quoi le Baby Dragoon de Warm retentit, et je vis le plus grand des frères tomber raide mort dâun coup de feu en plein visage.
Dâun seul coup les autres frères sâaccroupirent et se mirent à faire feu en direction de Morris et de Warm  ; les deux buveurs tirèrent à leur tour, tous azimuts, sans doute tête baissée et yeux fermés. Charlie me souffla, «  Il faut les descendre, les deux. Sâils tuent Warm, on aura fait tout ça pour rien.  » Depuis notre perchoir, rien nâétait plus facile. En moins de vingt secondes les deux frères se retrouvèrent sans vie sur le sable, juste à côté de leur aîné.
Tandis que les échos de nos coups de feu sâenvolaient par-dessus les cimes des arbres au-delà des collines, Warm poussa un cri de victoire qui nous parvint du fond de la vallée. Il ne savait pas que nous leur avions prêté main-forte, et croyant quâils avaient abattu seuls les frères, il sâautocongratulait bruyamment. Charlie leur cria, «  Ce nâest pas vous qui avez visé dans le mille, Warm, câest mon frère et moi, vous mâentendez  ?  » à ces mots, Morris et Warm interrompirent brusquement leurs festivités, et recommencèrent à se chamailler derrière leurs branches et leurs feuillages.
«  Je sais que vous mâentendez, dit Charlie.
â Câest lequel des deux qui parle  ? Le méchant ou le gros  ? Je ne veux pas parler au méchant.  »
Charlie me regarda. Il me fit signe de prendre la parole, et je mâavançai. Jâespérais avoir lâair décidé et sérieux, mais jâétais gêné, et il était gêné pour moi. Je mâéclaircis la gorge. «  Bonjour  ! lançai-je.
â Câest le gros  ? demanda Warm.
â Je mâappelle Eli.
â Câest vous le costaud  ?  »
Je crus entendre Morris rire.
«  Je suis costaud, dis-je.
â Ce nâest pas une critique. Jâai moi-même du mal à quitter la table. Certains
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