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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick deWitt
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pas sauf en cas d’absolue nécessité. Mets-lui une balle dans le bras, au besoin. Il faut qu’il soit capable de travailler, et de parler.   »
    Mon être profond commença à se dilater, comme c’était toujours le cas avant la violence   ; mon esprit s’obscurcit, et j’eus la sensation qu’un flacon d’encre noire se déversait en moi. Mon corps résonnait, j’étais parcouru de frissons des pieds à la tête, et je devins quelqu’un d’autre, ou plutôt j’endossai mon autre moi. Et ce moi était fort satisfait de sortir des ténèbres et d’intégrer le monde vivant où il lui était permis d’agir à sa guise. J’éprouvai à la fois du désir et de la honte, et me demandai, Pourquoi est-ce que je me délecte tant de cette régression à l’état animal   ? Je commençai à expirer bruyamment par les narines, tandis que Charlie restait calme et silencieux, et il me fit signe de me taire. Il avait l’habitude de me rappeler à l’ordre de cette façon, pour me préparer à l’affrontement. Honte, pensai-je. Honte, sang, et déchéance.
    Nous étions suffisamment proches pour que je puisse voir l’endroit où Warm et Morris étaient dissimulés, et distinguer vaguement les mouvements de leurs bras qui lançaient des pierres. Je tentai d’imaginer à quoi ressemblerait leur planque lorsque nos coups de feu l’illumineraient brièvement   ; chaque feuille, chaque pierre apparaîtrait dans la lumière, et je me figurais les expressions figées des deux hommes, et leur terrible surprise d’avoir été découverts.
    Soudain Charlie posa sa main sur ma poitrine pour m’arrêter. Il me regarda droit dans les yeux et prononça mon nom d’un air inquisiteur   ; je quittai mon état second et redescendis sur terre. «   Quoi   ?   » dis-je, presque frustré par cette interruption. Charlie leva un doigt et le tendit en me disant doucement, «   Regarde.   » Je secouai la tête comme pour m’éveiller, et suivis des yeux la direction qu’indiquait son doigt.
    Une rangée d’hommes s’approchait du camp dans le noir, et je compris, dès que je vis leurs silhouettes flanquées de fusils, qu’il s’agissait des frères aux yeux bleus que nous avions croisés au bord de la rivière. En repensant à mon bref échange avec eux, je me souvins du léger mouvement qu’ils avaient eu lorsque j’avais fait allusion aux barils de vin de Warm, et à présent c’était justement vers ceux-ci qu’ils se dirigeaient. Le castor avait atteint le bord de l’eau avec son trésor, mais un coup de pied dans le ventre du plus grand des frères l’envoya valdinguer dans les airs, et il atterrit avec un plouf dans la rivière. Outré, il se mit à frapper la surface de l’eau de sa queue, pour alerter ses congénères du danger imminent   ; ils cessèrent instantanément leurs besognes, et se mirent à l’abri dans les entrailles du barrage, afin de se blottir les uns contre les autres, loin du chaos et de la cruauté. Le chef des castors fut le dernier à quitter les lieux, lentement. Il manquait probablement de souffle après avoir reçu ce coup de botte dans l’estomac — ou peut-être soignait-il son amour-propre   ? Ces petites bêtes avaient quelque chose d’humain, quelque chose de sage et d’ancestral. C’étaient des animaux prudents et réfléchis.
    Le plus grand des frères fit rouler la barrique en remontant la rivière pour la remettre en place, avant d’aller jeter un coup d’œil dans la tente. Se rendant compte qu’elle était vide, il appela à la cantonade   : «   Bonjour   !   » Je crus déceler des rires étouffés provenant de Morris et Warm, et j’interrogeai Charlie du regard. Les rires s’intensifièrent, devinrent incontrôlés, et les frères se tenaient sur la rive et se regardaient, gênés.
    Â«   Qui est là   ?   » dit le plus grand des frères.
    Les rires s’évanouirent et Warm parla   : «   Nous sommes ici. Qui est
là
  ?
    â€” Nous avons un placer en aval de la rivière   », répondit le frère. Il donna un

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