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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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n’était pas très grand, avec un visage presque noir, des yeux bleus qui bougeaient sans cesse, une grosse bouche aux lèvres déformées. Il avait bien la quarantaine. Mais avec ça, une charpente de dresseur de bêtes, torse et muscles ronds, solide et lourd comme une souche de chêne.
    — Alors, c’est vous mon ange gardien ? demanda Guillaume.
    — Tutoie-moi sinon on sera repérés sur l’instant.
    — Tu connais bien les galères, n’est-ce pas ?
    Lapardula l’observa par en dessous, avec un demi-sourire qui actionnait curieusement ses grandes oreilles.
    — N’aie pas peur. Je n’ai tué personne. J’ai fait, c’est vrai, vingt ans de chiourme, mais c’était en tant que bonnevoglie.
    Et comme Guillaume ignorait tout de ce terme, Lapardula, tout le long du trajet, lui expliqua ce qu’étaient ces « bonnevoglies », volontaires pour ramer sur les galères, pauvres bougres, recrutés parmi le prolétariat des ports provençaux et italiens qui, pour une maigre solde et une ration de pain, engageaient leur liberté au côté des condamnés de droit commun. Lui, d’origine piémontaise, il avait ramé pour Venise, pour le pape, pour le roi d’Espagne et pour le roi de France.
    — Mais c’est vous les meilleurs, dit-il. J’ai signé pour trois ans et je suis resté dix-sept ans pour pouvoir payer les dettes de jeu et de boisson que vous m’avez forcé à contracter durant ces trois années.
    Ils débarquèrent de nuit au sud de la capitale, sur le quai de la Tournelle, non loin des bureaux de l’octroi, au milieu des tuiles, des briques et des ardoises, entre des cargaisons de barriques de Bourgogne, de Mâconnais et d’Auvergne destinées au carreau de la halle aux vins, là où, en plein jour, accostaient les coches d’eau de Montereau, de Melun, de Corbeil, de Nogent.
    — On nous conduit à la tour Saint-Bernard, chuchota Lapardula. Oublie qui tu es. Oublie d’où tu viens. Je m’en souviendrai pour toi. Ta seule préoccupation désormais, c’est de survivre.
    La tour Saint-Bernard, exclusivement vouée au dépôt des condamnés aux galères des diverses juridictions de Paris, de l’Île-de-France, de Normandie, de Picardie, de Flandre et de Champagne, était une forteresse aux murs épais, située entre la porte Saint-Bernard et la Seine, le long du quai de la Tournelle et c’était ce qui se faisait de mieux en France dans le genre.
    Trois cents hommes y étaient enfermés dans une vaste salle circulaire, enchaînés par le cou à des poutres fixées au sol. Le guichetier avait conduit Guillaume et Lapardula dans l’angle droit du bâtiment auquel on ne pouvait accéder qu’en enjambant des corps. En silence, il leur avait indiqué deux places libres sur l’une des poutres et Guillaume avait suivi très exactement chacun des gestes de son compagnon. Comme lui, il avait posé sa tête sur le bois et s’était laissé passer un collier de fer. Le guichetier l’avait fermé et rivé d’un coup adroit de maillet, puis il s’en était allé. La longueur de sa chaîne avait été calculée de telle sorte qu’il ne pouvait ni se lever, ni s’asseoir, ni s’allonger tout à fait. Une odeur épouvantable d’excréments flottait dans la pièce. Des rats couraient entre les condamnés.
    — Dors ! lui glissa Lapardula. Demain, tu auras besoin de toutes tes forces.
    Mais comment s’assoupir en cet endroit et dans cette position ? Il avait le bassin cassé ; le collier l’étranglait ; au-dessus et en dessous de lui, les corps étaient à moins de deux pieds du sien et il ne pouvait étendre les jambes. Tout contact lui faisait horreur.
    Il ferma les yeux, s’efforça de penser à Delphine. Il n’avait pas même eu le temps de la prévenir. Lui pardonnerait-elle de s’être ainsi laissé embarquer dans cette terrible aventure ? Des rayons de lune passaient au tamis d’une grille et tombaient, brisés, sur le sol de la prison. Des bras, des corps, des têtes, émergeaient sous la lumière de ce damier magique. On eût dit un immense charnier, quelque catacombe que des terrassiers auraient soudain mise à nu.
    Un homme brusquement se dressa de la masse confuse. Son visage cherchait la lumière. Il tomba à genoux, tourné vers le rayon de lune. Il n’avait que la peau sur les os, une tête sans cheveux creusée par deux orbites terribles au fond desquelles on ne parvenait pas à voir les yeux. Il joignait les mains dans l’attitude d’un pénitent. Une plainte

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