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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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sais, répéta-t-elle, en saisissant ses cannes. Vous venez me questionner, envoyée par ce jeune procureur.
    Elle rit, tendit sa main gantée à Delphine et, s’appuyant sur elle, elle se leva.
    — On a dû vous dire que j’étais folle, et on a eu raison.
    Elle fit un pas, puis deux, pesant de tout son poids sur l’épaule de la jeune femme. Mais tout ce poids était bien peu de chose. Elles entreprirent, cahin-caha, de s’aventurer plus avant dans l’allée. Le vent faisait tourbillonner les feuilles.
    — Mme de Saintonges était une amie de jeunesse, dit-elle. Ninon Dagens et Anne de Secully, je ne les ai connues que plus tard, au couvent. J’avais perdu la trace de Ninon. Mais c’est une relation commune, Jeanne d’Ausseville, qui m’a raconté sa fin tragique. On l’a retrouvée morte, déshabillée, couverte de sel, avec au-dessus d’elle des ailes blanches déployées.
    — Vous voulez parler de Mme de Saintonges ?
    — Non, mon enfant, de Ninon Dagens.
    Elle avait dit cela, calmement, comme elle aurait causé du temps ou de sa santé. Il y avait dans sa voix une sorte de lassitude, un fond endurci que plus rien ne pouvait rayer.
    — Et savez-vous à quelle occasion Jeanne d’Ausseville m’a parlé de Ninon ? Eh bien, à l’enterrement de cette pauvre Anne de Secully, que l’on a retrouvée, pareillement dénudée, étranglée, salée et affublée de ces ailes ridicules.
    — Mon Dieu, elle aussi… ?
    — Vous avez bien compris, mon enfant.
    Delphine ne savait pas quoi penser. Mme des Espains affabulait-elle ? Elles arrivaient au bout de l’allée. Derrière les murs, on brûlait du mûrier et les coups de vent rabattaient l’odeur des brasiers. Des oiseaux noirs continuaient à fouetter le ciel. Elles repartirent en sens inverse.
    — On me croit folle, dit Mme des Espains, parce que je devine. C’est ce qu’a pensé Marie-Joséphine quand je suis venue lui annoncer le danger qui la menaçait. Elle ne m’a pas crue. Il ne vous aurait pas été très difficile, n’est-ce pas ma fille, après avoir appris le sort d’Anne et de Ninon, qu’à l’annonce de la mort de Mme de Saintonges vous deviniez dans quelles conditions on lui avait ôté la vie ?
    Sa robe traînait par terre. Elle fit signe à Delphine de s’arrêter pour la tirer et, délicatement, après avoir ôté ses gants, elle enleva les épines et les chardons. Sa main tremblait légèrement, hésitait dans l’approche, mais parvenait toujours à ses fins.
    — Ne craignez-vous pas pour votre propre existence, madame ?
    — Oh ! non, ma fille. J’ai bien réfléchi à tout cela. Moi, je ne risque rien. Y avait-il plus facile victime à éliminer que moi ? Je suis infirme, gardée par deux femmes et un laquais ahuri. L’assassin ne se serait pas gêné. Non, à la vérité, la liste est close. Il n’y aura pas d’autres victimes. Anne, Ninon et Marie-Joséphine ont très vite formé un cercle où je n’entrais plus. Ma maladie m’empêchait de participer à leurs jeux, et, peu à peu, à leurs joies et à leurs secrets. C’est cette « trinité » qui a été punie. Je ne suis pas concernée.
    — Où s’étaient-elles connues ?
    Mme des Espains s’arrêta de nouveau et regarda Delphine. Une tache noire dansait dans le gris transparent de ses yeux. Elle joignit ses longues mains pâles où jouaient des lumières assoupies de cire.
    — Je vous l’ai dit, au couvent. Nous nous sommes toutes retrouvées chez les bénédictines, près d’ici, à la sortie de Beaune.
    Elles reprirent leur marche lente mais Mme des Espains semblait aller d’un pas ragaillardi. Sa canne se plantait plus loin devant et prenait plaisir à écraser les feuilles. De temps en temps, sans cesser de parler, elle cherchait en l’air à retrouver les arabesques noires des oiseaux.
    — Nous étions belles à voir, ma fille. Même moi avec mes cannes jumelles. Aussi jolies que vous et non moins passionnées, à ce que je devine, et pour la plupart de haute naissance. Nos familles nous avaient enfermées là à quinze ans, pour étouffer la braise qui couvait en chacune de nous. Elles nous avaient livrées sans le savoir à des religieuses incapables et aussi peu intéressées que nous à la vie spirituelle. Notre couvent prenait l’eau de toutes parts. La clôture n’y était plus qu’une idée vague.
    Elle pouffa, la main devant la bouche. Elle ferma même les paupières un court instant et c’était comme si un

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