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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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petit bâtiment qu’il prit tout d’abord pour une écurie. Une forge y faisait un feu d’enfer. Un homme torse nu, la poitrine couverte de poils roussis, le visage maculé de suie, le salua avec une grande politesse.
    — Veuillez dégager votre épaule et tendre votre bras, monsieur.
    Et il sortit du feu un fer brûlant au bout duquel rougeoyaient les « initiales d’infamie ».
    À ces mots, Guillaume réalisa qu’il venait de basculer dans un autre monde.

    2.
    La voiture de Mme de Beaumont déposa Delphine devant l’entrée de la propriété de Mme des Espains. Elle avait fait porter le jour même un pli à cette « Marguerite » dont le prénom avait été griffonné en marge de la bible de Mme de Saintonges et, à sa grande surprise, le laquais était revenu avec une réponse immédiate et fort aimable : on l’attendait le lendemain en fin d’après-midi ou, à défaut, « au jour et à l’heure de votre convenance ».
    Ce que l’adresse désignait sous le nom de « château de Villemestre » était une simple gentilhommière à la sortie de Beaune, cachée derrière un haut mur mangé de lierre et un portail à gros clous noirs flanqué de bornes rayées par les carrosses. De la rue, on n’apercevait que le faîte des arbres et la toiture en tuiles grises de bâtiments de ferme. Un maigre jeune homme, à tête de crapaud, occupé à ramasser des feuilles, vint lui ouvrir quand elle sonna et reprit sans hâte son râteau en lui désignant, au bout d’un long jardin, une bâtisse flanquée d’un pigeonnier. Des coqs à crête rouge couraient dans les allées. Deux magnifiques paons faisaient la roue devant des fontaines de marbre, cachant de leurs éventails bleus la nudité d’une Vénus sortant de l’eau. Des colonnes tronquées montaient, grises, sur les teintes fauves des vignes et portaient sur les flancs des anneaux enserrant, comme des bagues énormes, des torches éteintes. Des nymphes et des satyres en albâtre se poursuivaient autour d’un bassin en émail fendu, plein d’une eau noire où flottaient des bancs de mousse verte.
    La bâtisse principale était pareillement surprenante, avec une terrasse bordée de balustres, des voûtes, une tour montant haut comme le minaret d’une cité mahométane. Delphine suivit le chemin que balisaient des dalles mangées de terre et d’herbe. Devant le porche principal, deux femmes à la carrure d’homme étaient assises sur un banc, occupées à plumer des poulets sur des tabliers à grands carreaux rouges et verts. Une poussière de plumes blanches volait tout autour d’elles.
    — Auriez-vous la gentillesse de prévenir Mme des Espains que je…
    Les femmes levèrent vers elle un même visage carré à la peau jaune et parcheminée. Des jumelles à n’en pas douter.
    — Elle vous attend, dit la première.
    — C’est par là, dit la seconde.
    Et en se levant, elle indiqua de la main, sans lâcher la volaille qu’elle tenait au collet, l’une des allées du jardin qui contournait la bâtisse. Le temps était humide, presque à la pluie. Delphine releva le col de sa mantille. Elle découvrit Mme des Espains assise sur un banc, le nez levé, tout absorbée par les volutes tracées dans le ciel par quelques oiseaux noirs. Elle n’avait fait que l’entrevoir à l’église mais les deux cannes posées sur le banc lui en donnaient une éclatante confirmation : c’était là la curieuse dame qui avait abordé Guillaume. Voilà un coup de maître, pensa-t-elle, Guillaume n’en reviendra pas ! Elle fit les derniers pas, le coeur battant et les jambes chancelantes.
    — Madame, dit Delphine en s’appliquant dans sa révérence, vous avez eu la bonté de me recevoir. Sans doute devinez-vous ce qui m’amène…
    — Je le sais en effet.
    Mme des Espains avait, comme à l’enterrement de Mme de Saintonges, les paupières couleur de coquelicot, mi-closes sur des yeux pleins de lumière, mais d’une lumière qui n’avait rien de gai, une lumière d’un soleil d’hiver n’arrivant pas à percer les nuages. Son visage semblait minuscule, avec un ovale amaigri, un teint d’ivoire. Le corps était fluet, perdu, évaporé sous le vêtement et d’une grâce souffreteuse. Elle portait une robe étrange, en toile d’araignée, pleine de plumes et de morceaux d’étoffes, de rubans et de dentelle couleur de cendres froides, une construction savante, semblable à un nid de fauvettes tressé de duvets et de feuilles.
    — Je le

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